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Le Grand Rappel
 

La Lettre sur la Forêt de Mgr Labrie

"Un jour viendra où les mines auront donné leur dernier lingot,
mais la forêt, elle, continuera de pousser des arbres toujours
plus beaux et plus riches, pourvu que nous nous donnions la
​peine de l'aimer et de la traiter avec intelligence, dans un
esprit de prévoyance.​" Mgr Labrie, Lettre sur la forêt, 1948
Photo
Mgr N.-A. Labrie – Fonds d'archives des Eudistes

​Napoléon-Alexandre Labrie a vu péricliter les usines de 
sciage ​et les postes de pêche tout au long de son enfance.

Revenu dans sa région natale à titre de prêtre-missionnaire puis
d'évêque, il se soucie rapidement des conditions économiques et
sociales faites aux 6 000 bûcherons qui chaque année quittent
leurs familles de la Rive-Sud durant de longs mois pour ​s'enfoncer
​dans les ​forêts de la Côte-Nord.​ 

La Lettre sur la Forêt
de Mgr Labrie


​"Un jour viendra où les mines auront donné leur dernier lingot, mais la forêt, elle, continuera de pousser des arbres toujours plus beaux et plus riches, pourvu que nous nous donnions la peine de l'aimer et de la traiter avec intelligence, dans un esprit de prévoyance." 
​
Mgr Labrie, Lettre sur la forêt, 1948.
Photo
Mgr N.-A. Labrie – Fonds d'archives des Eudistes
Napoléon-Alexandre Labrie a vu péricliter les usines de sciage et les postes de pêche tout au long de son enfance.

​Revenu dans sa région natale à titre de prêtre-missionnaire puis d'évêque, il se soucie rapidement des conditions économiques et sociales faites aux 6,000 bûcherons qui chaque année quittent leurs familles de la rive-sud durant de longs mois pour s'enfoncer dans les forêt de la Côte-Nord.
Photo Camp de bûcherons dans les années 1920-1930 – Fonds d'archives des Eudistes
Camp de bûcherons dans les années 1920-1930 – Fonds d'archives des Eudistes
​
​Appuyé sur des mois d'étude et de réflexion, Mgr Labrie 
va publier en 1948 une lettre pastorale​ qui fera grand bruit
à l'époque, même ​en Europe. ​

C'est la Lettre sur la Forêt. 

Dans ce texte, d'une grande pertinence encore de nos jours, 
il défend une approche de développement durable, propose la 
création de villages forestiers et une exploitation raisonnée de
la ​ressource afin d'assurer​ un développement plus humain à
​ses concitoyens. 

​Appuyé sur des mois d'étude et de réflexion, Mgr Labrie va publier en 1948 une lettre pastorale qui fera grand bruit à l'époque, même en Europe.

C'est a Lettre sur la forêt.

​Dans ce texte, d'une grande pertinence encore de nos jours, il défend une approche de développement durable, propose la création de villages forestiers et une exploitation raisonnée de la ressource afin d'assurer un développement plus humain à ses concitoyens.

Reportage de Robert Tremblay
du Groupe PVP à propos de
La Lettre sur la Forêt de Mgr Labrie

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LETTRE PASTORALE
DE SON EXCELLENCE MONSEIGNEUR L'EVEQUE DU GOLFE SAINT-LAURENT
Sur la Forêt
NAPOLEON-ALEXANDRE LABRIE,
DE LA CONGREGATION DE JESUS ET MARIE,
PAR LA GRACE DE DIEU ET DU SIEGE APOSTOLIQUE, EVEQUE DU GOLFE ST-LAURENT,
Au clergé séculier et régulier et à tous les fidèles de Notre Diocèse,
Salut et bénédiction en Nôtre-Seigneur.
 
Nos très chers frères,
 
Au cours de Notre carrière sacerdotale, déjà longue d'un quart de siècle, et surtout depuis notre élévation à l'épiscopat, Nous Nous sommes chaque jour arrêtés à méditer sur l'avenir de cette région qui Nous a vu naître et qui est maintenant confiée à nos soins de pasteur. Nous l'avons aimée d'un grand amour. Personne plus que nous n'a voulu la voir belle et prospère. Certes notre premier souci a toujours consisté à chercher son bien spirituel puisque c'est la très haute fin de Notre charge, mais, comme pour servir Dieu avec liberté et amour filial il faut toujours une certaine somme de bien-être, Nous ne Nous sommes jamais désintéressés de son bonheur temporel. Nous trouvons d'ailleurs un encourageant exemple dans cette longue chaîne d'Évêques qui ont succédé aux Apôtres. L'Église a toujours été une institution créatrice. Les monuments qui, dans les arts, les sciences, l'industrie, jalonnent sa longue carrière, attestent qu'elle ne s'est pas contentée de défendre la foi et de prêcher la charité, qu'elle ne s'est pas confinée dans la spéculation ou la dialectique, mais que partout et toujours invariable et immuable dans ses principes, elle a su, dans leurs applications, s'adapter aux circonstances, et tirer parti de cet incomparable et unique capital humain de l'intelligence, de la volonté et de la puissance collective des peuples sagement dirigés.
 
Vocation spéciale de notre région.
 
Nous sommes donc très à l'aise aujourd'hui en abordant un sujet d'apparence matérielle, mais dont le succès ou l'insuccès aurait des répercussions d'une extrême gravité spirituelle. Ce sujet hantait Notre esprit. En parcourant les belles campagnes de notre Province Nous Nous demandions par l'effet de quelle malédiction la Providence ne nous avait pas donné, à nous aussi, des terres fertiles où les blés auraient pu mûrir sous l'ondulation de la brise. Nous avons cherché vainement ces terrains, nous avons lu, nous avons consulté des experts, et à force de réflexion Nous avons fini par Nous dire que la parole de Saint Paul, parlant des personnes, s'applique aussi aux pays. Elle serait à plaindre la société dont tous les membres seraient ou apôtres, ou prophètes, ou docteurs, en un mot exerceraient la même profession, quelque perfection qu'ils apportassent à cette profession. Dans l’ordre providentiel une société tend à sa fin par la diversité des talents, des caractères, des aptitudes. C'est l'unité dans la diversité. Il en est de même dans la destinée des pays. Si toutes les régions se ressemblaient l'économie d'un pays serait compromise. Si toutes les terres de cette province étaient propres à l'agriculture, nous aurions peut-être étendu inconsidérément nos espaces en culture ou en jachères et nous n'aurions plus de bois.
 
Or le bois est une des plus grandes nécessités de la vie. " Nous pouvons affirmer sans craindre la contradiction, écrivait le professeur Fernow, qu'après les produits nécessaires de l'alimentation de la vie humaine, rien n'est d'un usage aussi universel ni aussi indispensable, dans l'économie domestique et publique, que le bois. En effet, si vous faites abstraction du bois, et du bois en grande quantité, il nous sera impossible de concevoir l'idée de la civilisation." Ces paroles, écrites en 1906 sont restées d'une actualité surprenante. Les autres produits de l'industrie ont eu beau se développer à une rapidité vertigineuse, les nouvelles " techniques, les nouveaux usages, les transformations de la physique et de la chimie ont gardé au bois sa place enviable dans l'économie du pays.
 
Aussi, Nos très chers Frères, nos lectures, nos conversations avec les hommes de la science, du métier, et de l'industrie, nos méditations sur l'avenir de notre région ont fini par remplir notre âme d'une conviction reconnaissante et d'un grand espoir. Après tout la Providence n'a pas été si parcimonieuse à notre égard. Car dans le concert qui monte du sol canadien à la gloire du Créateur notre région à nous chante spécialement ces versets: " Bénédicité fontes Domino : bénédicité, maria et flumina Domino " Dan. 3. 5. " Laudate Dominum, montes et omnes colles; ligna fructifera et omnes cedri " PS. 148. "Sources, mers et fleuves, bénissez le Seigneur. Louez le Seigneur, montagnes et collines, arbres fructifères et cèdres altiers. "
 
Des sources et des rivières, où Dieu en a-t-il fait couler de plus belles et de mieux fournies de pouvoirs hydrauliques d'une puissance illimitée? Quelle mer est plus admirable et poissonneuse que notre golfe?
 
Il a caché sous nos collines et nos montagnes des richesses minérales que nous venons à peine de deviner, et il les a embellies de forêts immenses qui nous offrent en abondance ce produit essentiel à la civilisation, le bois. Comme pour nous bien faire comprendre que tel doit être la fonction, le rôle, la vocation de notre région à nous, il a fait pousser ce bois sur un sol qui, sauf quelques rares exceptions, n'est propre qu'à la culture du bois, ou à la sylviculture, pour l'appeler par son vrai nom. Ce serait donc mal comprendre notre vocation comme groupe social, ce serait mal apprécier la destinée providentielle de notre région que d'essayer de substituer à la sylviculture un autre genre de produit. Ce serait nous vouer à un échec lamentable et créer un désert là, où Dieu avait semé la fécondité, la beauté, la richesse.
 
Dieu en effet nous a donné la richesse dans nos forêts et une très grande richesse, " car $25.00 sur chaque $100.00 de notre richesse et de notre revenu viennent de nos arbres. " (Les forêts et les industries forestières. Banque Royale du Canada. Janvier 1947.) Richesse inépuisable. Un jour viendra où les mines auront donné leur dernier lingot, mais la forêt, elle, continuera de pousser des arbres toujours plus beaux et plus riches, pourvu que nous nous donnions la peine de l'aimer et de la traiter avec intelligence dans un esprit de prévoyance.
 
Perfectibilité providentielle de la création par l'homme.
 
Oui, pourvu que nous nous donnions la peine de la traiter avec intelligence. On murmure souvent contre les choses lorsqu'on devrait s'accuser soi-même parce qu'on ne se donne pas la peine de mettre en valeur cette haute faculté de l'intelligence. Dieu a créé l'homme perfectible, et dans sa bonté il lui a confié le soin de sa propre perfection, qu'il a fait dépendre de ses deux facultés: l'intelligence et la volonté. Parmi toutes les merveilles de l'univers visible le chef-d'œuvre des mains de Dieu, c'est incontestablement l'intelligence et la volonté humaines. N'est-ce pas du fait de son intelligence et de sa volonté que l'homme tire sa ressemblance avec Dieu dans l'ordre naturel, et dans l'ordre surnaturel quand la grâce sanctifiante vient diviniser les œuvres d'intelligence et de volonté? Par l'opération de ces facultés seul parmi les êtres visibles l'homme peut connaître et comprendre la nature des choses et se déterminer librement à l'action dans la poursuite de sa fin. Quand l'homme néglige de mettre en œuvre ces nobles facultés pour agir par caprice ou par instinct il n'avance plus vers la perfection, il crée le désordre, la peine, la souffrance, parce qu'il descend au-dessous de sa nature, il rétrograde vers l'animalité pure.
 
Ce n'est pas tout. Dieu non seulement a créé l'homme maître de sa propre perfection, mais il a encore fait dépendre la perfectibilité des êtres matériels de cette intelligence et de cette volonté humaines. Il était assez puissant pour donner aux choses créées la plénitude de la perfection possible à leur nature. Mais parce qu'il a voulu associer l'homme, son chef-d'œuvre, à son œuvre créatrice il a caché dans la nature des beautés, des bontés, des énergies que l'intelligence humaine devait découvrir et que la volonté devait faire apparaître. Les fruits qui font les délices de nos tables ne sont plus nécessairement tels que Dieu les a créés. Mais les savants ont beau tirer orgueil de leurs découvertes étonnantes et s'appuyer sur leur science pour nier Dieu, il n'en reste pas moins vrai qu'il est Fauteur tout aimable de toutes les choses et de leur perfectibilité. La merveille des merveilles vient de ce qu'il ait donné à l'homme cette puissance de compléter une œuvre divine. Nous dirons même plus, l'homme, ayant reçu de Dieu une telle puissance, encourt à l'égard de Dieu une lourde responsabilité s'il ne cherche pas à compléter cette œuvre en lui-même et dans les choses qui lui sont confiées, et surtout s'il abuse de lui-même et des choses. Nous ayons là toute la raison de la fin temporelle de l'humanité et même de sa fin éternelle. L'on comprend mieux également comment l'homme invite les choses à louer le Seigneur puisque cette voie de progrès dans laquelle il les lance est une manifestation toujours plus admirable de l'intelligence, de la bonté, de la beauté, de la sagesse, de la puissance du Créateur. " Bénédicité, omnia opéra Domini, Domino!" "Œuvres universelles du Seigneur, bénissez le Seigneur!" Dan. 3. 57.
 
Nos manquements à cette vocation par rapport à la forêt.
 
1° Dans tout le pays.
 

Reportons maintenant notre raisonnement sur la forêt qui nous intéresse. Ce que nous allons dire n'est pas une étude technique d'industrie forestière ou de sylviculture. Malgré de longues années d'étude et de réflexion, Nous reconnaissons qu'il ne Nous appartient pas de présenter le problème sous son aspect technique. D'ailleurs ce travail n'est plus à faire. Il y a longtemps que les sociologues, les hommes politiques, les industriels se sont préoccupés de l'avenir de la forêt. Avant de dire les responsabilités de chacun, Nous rendons hommage à l'effort déjà accompli. Dès 1903 le professeur B. E. Fernow, L. L. D, dans une série de magistrales conférences posait le problème en face du public. Depuis, les gouvernements et les compagnies forestières, les universités ont dépensé de fortes sommes pour créer des écoles de sylviculture, et envoyer des ingénieurs forestiers étudier l'organisation des admirables forêts européennes. Sont à lire les études de MM. G.-C. Piché, Esdras Minville; une belle conférence de M. Ernest Ménard, I.F.; les comptes rendus de Congrès provinciaux de l'Association forestière Québécoise; une belle étude de la Banque Royale, janvier 1947; Practical Woodlot Management, par A. Koroleff; Note Book of a Conservationist abroad, par Mr. Robson Black ; enfin le rapport de la Commission Royale d'Ontario 1947; etc, etc. Bref si nous avons péché ce n'est pas faute de science. Ce qui a manqué, c'est l'action coordinatrice d'une intelligence; c'est la voix d'un chef qui eût exprimé en œuvre ce que l'intelligence avait déjà su découvrir de beauté, de bonté et de perfectibilité dans l'œuvre forestière du bon Dieu. Dans la pratique nous en sommes aux mêmes méthodes destructives, et, s'il y a progrès, c'est dans la voie de la destruction, grâce à la mécanisation. 
 
Serait-ce présomptueuse ambition pour cette humble lettre que de désirer être la voix de la conscience, le cri d'alarme qui signale la catastrophe vers laquelle nous nous précipitons en dépit de notre science, l'examen qui fait reconnaître les fautes et montre les remèdes à prendre contre  notreprodigalité impardonnable? Que Dieu, Créateur de toutes les beautés et de tous les bienfaits qui nous entourent, que Dieu, Maître bien-aimé, dont nous recherchons la gloire dans le bonheur de ses créatures, bénisse la hardiesse de notre tentative!
 
Nous avons été prodigues. Qui oserait le contester? Nous n'avons pas traité la forêt avec toute la déférence et toute l'estime reconnaissante que mérite une des plus belles œuvres de Dieu. Egoïstes, nous avons songé à nos profits sans entendre la voix de nos enfants qui nous reprocheront de n'avoir pas fait fructifier ce talent, mais d'avoir en quelques années dilapidé un riche héritage. Loin de songer à l'embellir ou à l'améliorer comme nous en avions la mission, nous l'avons détruite inconsidérément. Nous l'avons fait reculer comme une ennemie. Notre petit peuple, qui en d'autres ordres de choses a posé de si solides assises d'une grande nation, a fait preuve, quand il s'agit de la forêt, d'une imprévoyance et d'une insouciance inconcevables envers des générations futures. Admettons-le de suite, il y a des circonstances fortement atténuantes à notre faute. Nous sommes un peuple de pionniers, issus d'une race d'agriculteurs. A notre arrivée la forêt couvrait le pays. Il fallait qu'elle recule pour permettre l'agriculture. Ce fut la tâche des premiers colons. L'abondance des arbres était un défaut au pays. Seuls les plus beaux pouvaient servir à l'industrie, les autres devaient disparaître, être brûlés sur
place.
 
Nous en avons hérité d'un complexe d'inimitié à l'égard de la forêt, et comme d'un instinct qui porte à lever la hache ou à mettre le feu dès qu'on aperçoit un arbre. Cette mentalité pouvait se développer facilement du fait que l'abondance paraissait inépuisable.
 
La grande industrie, qui dans la suite est venue s'ajouter à l'effort du colon n'a pas été plus sage. Sous prétexte de profits elle a déboisé sans aucune considération sans aucun souci d'aménagement permanent de la forêt, d'organisation rationnelle de l'exploitation, de sociologie chrétienne à l'égard de l'ouvrier. Comme résultats, si en bien des endroits la présence de belles fermes a pu remplacer avantageusement le bois, en beaucoup d'autres on a créé le désert là où la Providence n'avait prévu qu'une seule abondance, celle du bois. Comme cette Providence infiniment sage y avait placé cette abondance de bois comme régulatrice du cours des eaux, protectrice des animaux et des poissons, du même coup on a détruit ceux-ci, et on a permis des inondations désastreuses, suivies des dessèchements non moins dommageables, et des érosions qui emportent chaque année des millions de tonnes de bonne terre. En même temps l'industrie mal dirigée, profiteuse et sans conscience sociale, a causé la désaffectation de toute une classe agricole, sans lui donner l'équivalent d'un métier capable de suffire à une existence familiale en rapport avec sa dignité d'homme et de chrétien.
 
2° Dans le comté de Saguenay.
 
Ce tableau, brossé à grands traits, dont on pourrait assombrir considérablement les tons, prendra un aspect infiniment plus hideux si on le transpose chez nous, dans notre comté de Saguenay, à quelque cinquante ans dans l'avenir. Quel spectacle nous offrira alors le pays si nous maintenons l'exploitation forestière au rythme désordonné sur lequel nous l'avons lancée? De belles fermes pour remplacer les arbres? Mais où prendrons-nous la terre pour y créer des fermes? Pour nous faire une idée de la désolation désertique qui nous attend dans cinquante ans, il suffit de jeter un coup d'œil sur l'incurie criminelle dans laquelle on laisse les espaces déboisés en dépit de notre science forestière ; il suffit de passer sur nos routes et de contempler à travers des larmes tous ces rochers léchés par les flammes. Ceux qui n'ont pas les moyens de se rendre sur les lieux pourront se renseigner en lisant les publications que nous fournissent chaque année les ministères de la Colonisation et des Terres et Forêts ou en regardant les photographies du Rapport de l'Enquête royale de l'Ontario.
 
Examen de conscience.
 
Vaines cependant resteraient toutes ces jérémiades, si nous ne voulons pas une bonne fois prendre conscience de notre mission d'associés de Dieu dans le perfectionnement de son œuvre, de nos propres intérêts et de ceux de notre peuple, qui sont également ceux de l'industrie. Vaines encore si nous ne voulons pas administrer sans retard le remède que nous connaissons.
 
Ce remède va-t-il consister à chercher les coupables pour les vouer à l'exécration et les punir? Non, ces moyens démagogiques font plus de mal que de bien. Les vainqueurs qui s'assoient pour juger les vaincus risquent de commettre de lourdes injustices, sous le coup de la passion, et de ne rien changer ou améliorer. De fait, nous sommes tous coupables, le peuple dans son entier, les industries, les gouvernements. Le premier devoir pour chacun de ces groupes doit consister à voir quelles sont ses responsabilités, ses négligences et à prendre les mesures radicales qui s'imposent.
 
I – RESPONSABILITES DU PEUPLE, ET SA PUNITION.
 
Le peuple a été coupable. Nous l'avons dît suffisamment pour le peuple canadien en général ; mais pour le peuple du Saguenay cette culpabilité s'aggrave d'une prodigalité infiniment plus sérieuse. C'est le progrès, le développement, la croissance, l'existence même de notre groupe que nous jouons, à un très gros jeu. Pourquoi, après cinquante ans d'industrie forestière, ne l'avons-nous pas compris en profitant de l'expérience des autres? Pourquoi, après quelque vingt-cinq ans d'existence, certaines localités sont-elles menacées de devenir des villages fantômes faute de bois, alors qu'en Suède des localités similaires vieilles de six cents ans connaissent l'apogée de leur prospérité dans une forêt rénovée, améliorée, plus productive que jamais? Pourquoi? C'est que là-bas on a un peuple conscient; ici nous avons un peuple inconscient. Là-bas on a un peuple qui reconnaît la forêt comme sa nourricière. Il sait que la nature du sol ne lui permet pas d'autres cultures et d'autres industries ; il conserve et améliore celle que la Providence lui a donnée. Ici nous avons un peuple d'exploiteurs qui viennent arracher à la forêt en la martyrisant un peu d'argent, et maudissent en partant le sol qui l'a fait pousser. Là-bas on a un peuple qui n'a pas brûlé vingt mille acres en dix ans; et au Canada nous avons un peuple qui en brûle 2,500,000 acres par année.
 
Là-bas on a, attaché au sol de la forêt, un peuple qui y a établi en permanence son foyer. Ici dans notre comté de Saguenay, notre peuple forestier est en train de devenir un peuple errant, un peuple de déclassés, un peuple incapable de se fixer un mois au même endroit, ne trouvant que le triste courage de gaspiller son gain et rarement celui de fonder un foyer. On voit aller et venir par vagues, en flux et reflux, pendant huit ou neuf mois de l'année, cette migration de dix ou douze mille hommes. Chez eux ils sont peut-être des citoyens capables de faire honneur à leurs affaires. Dans nos localités forestières, ils n'ont plus de fierté, parce qu'ils portent sur eux la déchéance d'une classe; ils ont momentanément ou perpétuellement pris pour eux un métier honteux, celui de bûcheron, qu'on s'est mis à appeler avec plus de mépris encore " Lumber Jack ". Ils sont reçus à l'Église, parce que Dieu se penche toujours avec amour sur le publicain. Ils sont reçus à la taverne et à d'autres endroits plus ou moins louches parce que le démon de la cupidité leur a mis au cœur le démon de la prodigalité. Mais dans les familles on se réserve, non sans raison. Ce sont des " gas de chantier, des lumber jack ! " Et ils s'en vont, ces malheureux, blasphémant contre tout, ils s'en vont sans argent, sans conscience professionnelle; ils s'en vont sans amour; ils s'en vont sans foyer. Ils conservent encore assez de religion pour être préservés des grandes aventures sanglantes. Dieu merci, nos missionnaires trouvent toujours de belles âmes dans les camps. Ils n'ont pas perdu la foi de leurs mamans, mais qui sait si demain ils ne seront pas mûrs pour la grande folie. Les indices ne manquent pas, et la hache qui vibre sur les nœuds prend des résonances de tocsin. C'est peut-être un peu sombre mais c'est cela, et si l'on ne se met pas bien vite à l'œuvre nous arriverons infailliblement à deux échéances fatales: ruine totale de la forêt et donc de toute cette région, et déchéance lamentable d'un riche capital humain.
 
Comment en effet dans une telle débandade demander à ce peuple de protéger la forêt, de peupler cette immense et belle région? Pourtant Dieu en face de cette région nous a dit à nous tous qui venons y chercher notre pain: " Croissez et multipliez vous; remplissez la terre. " Les régions sur lesquelles pour la première fois il a prononcé ces paroles d'amour, autrefois merveilleusement riches et belles, sont maintenant des déserts parce que les nations ont abusé de la nature et l'un de leurs premiers abus a été de détruire les arbres. Disons à leur décharge qu'elles étaient excusables de n'avoir pas notre science de la sylviculture, de la sociologie et de l'ethnologie. Nous, nous n'avons plus d'excuses. Si un jour nous nous réveillons dans la pauvreté de l'Enfant prodigue après avoir gaspillé notre bien, nous n'aurons pas d'autres à accuser que nous-mêmes.
 
Remèdes à appliquer.
 
Il importe donc de donner un coup de barre, de prendre des mesures énergiques, 1° pour refaire notre éducation en fonction de notre mode de vie forestière, 2° pour cultiver la forêt, non uniquement en rapport avec le revenu qu'elle peut nous apporter à nous-mêmes, mais surtout en vue de la survie d'un peuple dont cette génération est la fondatrice au Comté de Saguenay. A qui de prendre l'initiative? Aux compagnies, au gouvernement, contre lesquels il est de bon ton de déblatérer chaque fois que quelque chose ne va pas? Les compagnies et le gouvernement auront leur part à faire, et nous allons la leur dire. Mais les premiers à se mettre à l'œuvre doivent être nous, les gagne-petit, nous le peuple, qui avons comme sort de nous river au sol une fois que nous y avons pris pied. Les compagnies s'enrichiront et s'en iront sans connaître notre misère, mais nous, nous resterons et nos fils resteront. Si nous sommes sages tout le monde restera, les compagnies et le peuple, pour maintenir la prospérité dans la collaboration.
 
Appel à tous.
 
C'est nous, car tous les efforts des sociologues, des techniciens en sylviculture, des industriels, n'aboutiront à rien si nous ne sommes pas un peuple conscient et progressif, désireux de collaborer de toute son âme au bien commun. Nous lançons cet appel à vous, résidents du comté, à vous colons, à vous bûcherons, à vous tous, chers diocésains. On vous dira comment défricher vos lots, comment administrer vos coupes de bois, comment préparer le terrain pour l’ensemencement naturel, comment protéger les jeunes arbres qui ont déjà grandi à l'ombre de ceux qui vont être sacrifiés. En un mot on vous dira comment administrer une forêt, qu'elle appartienne à vous, à une compagnie, à une municipalité ou au gouvernement. Apprenez cette science.
 
Quel est celui qui peut se vanter d'avoir été prévoyant? Comment expliquer que dans une région exclusivement vouée à l'industrie forestière les familles en soient réduites à recourir au mode de chauffage le plus dispendieux, le chauffage à l'huile, parce qu'il leur en coûterait aussi cher d'acheter du bois? Comment se fait-il que des colons après vingt ans d'occupation ne trouvent pas un arbre sur leur terre et pas plus de choux ou de foin? Comment se fait-il que l'on ait toutes les misères du monde à défendre les réserves cantonales contre une frénésie de destruction? Ces faits n'indiquent-ils pas un manque d'organisation et de prévoyance? Apprêtez-vous à plus de prévoyance, et surtout apprenez à vos enfants à avoir plus de respect pour les choses que Dieu a mises à notre disposition, spécialement pour les arbres.
 
Le plus tôt possible, nous introduirons dans nos écoles un programme élémentaire de sylviculture. Il aidera à former cette mentalité. Encouragez-les vos enfants. La forêt leur offre un avenir beaucoup plus brillant que vous ne le soupçonnez. Nous aurons besoin de quintupler le nombre de nos ingénieurs forestiers et de nos techniciens. Pourquoi ces professions seraient-elles constamment réservées à des étrangers? Chaque pays doit fournir son monde. Quand nos techniciens et nos ingénieurs seront sortis de notre peuple la forêt aura une chance d'être mieux aimée; le simple ouvrier lui-même, sans autant de misère, et avec plus de noblesse, accomplira sa vocation en triplant et quadruplant son revenu.
 
Pourquoi ce métier serait-il moins honorable? Il suffit de l'accomplir dans l'ordre, pour le mettre au même niveau que toute autre fonction. Quand l'intelligence vient mettre en valeur l'effort humain elle accentue toujours la ressemblance de l'homme avec Dieu et ne connaît pas de sot métier. Le forestier, qui chaque jour est en contact avec la grâce majestueuse de la nature, peut élever plus facilement que l'ouvrier de l'usine ses yeux vers le ciel, d'où lui viennent toute force et toute bonté. S'il accomplit son œuvre dans cet esprit, il finit par s'adapter avec passion à ce cadre grandiose. La conviction de trouver providentiellement sa subsistance dans cette belle nature tout en travaillant à perpétuer et parfaire l'œuvre divine compense fièrement certaines rudesses. Quelle fierté également de pouvoir se dire: "Dans cent ans, dans deux cents ans, d'autres hommes, dans les veines desquels coulera mon sang, viendront ici couper d'autres arbres plus beaux. Grâce à ma prévoyance, ces arbres et ces hommes, dans un cadre plus merveilleux, continueront le même chant d'amour, le chant de la nature et le mien en hommage au Créateur infiniment bon.
 
Le grand fléau des feux de forêts.
 
Cependant pour que ce chant subsiste indéfiniment, il est un autre fléau, pire que la hache imprévoyante, et issu de cette hache imprévoyante, le fléau des feux de forêts, qu'il faut éviter à tout prix. Que de crimes n'ont-elles pas commis, notre imprévoyance et notre négligence! Des millions d'arbres calcinés sur notre territoire lèvent des branches noires vers le ciel, comme des mains rageuses, pour demander justice ou prendre Dieu à témoin de votre cruauté envers eux et envers nos descendants.
 
Que de fois n'avons-nous pas constaté Nous-même cette incurie? Nous avons voyagé en forêt avec des automobilistes et nous les avons vu jeter leurs bouts de cigarettes allumés malgré les pancartes qui avertissaient du danger. On ne peut établir un colon, ou on ne peut envoyer des hommes travailler dans les bois sans risquer de voir le ciel se voiler de sinistres et noirs nuages. S'il fallait les estimer en dollars, ces nuages, ils se chiffreraient par millions. Mais on se console en disant: " La perte n'est pas énorme. Le bois reste bon, on aura le temps de l'utiliser. " Oui mais les petits arbres qui sont morts et ne grossiront plus! Si vous voulez estimer la perte dans toute son étendue, allez voir les montagnes de Trinité, de Laval et de Latour. Regardez-les bien. Puis revenez dans cent ans et deux cents ans. Il y a quelques années elles étaient couvertes de belles forêts utiles. Aujourd'hui elles sont nues, demain elles seront nues et dans cent ans elles seront encore nues. C'est là le dommage inestimable. Le sol est brûlé, la source de vie n'existe plus, et la cause de cela? Un colon imprudent, ou un bout de cigarette. Même dans la plaine où le sol est plus épais et résiste mieux, il faudra que la nature recommence tout un cycle de préparation avant qu'un arbre utile puisse germer. Auparavant il s'écoulera des années et des années. Le temps ne nous permet pas de signaler une infinité d'autres inconvénients, mort du gibier et du poisson, dessèchement des rivières, etc, etc..
 
Nous voulons surtout attirer votre attention, Nos très chers Frères, sur notre effarante culpabilité. Nous ne pouvons pas nous défendre d'un sentiment de blâme à l'égard de tant de négligence, et Nous Nous demandons s'il n'y a pas quelquefois des actes volontairement criminels. Certainement toutes ces conflagrations ne peuvent s'expliquer par le pur hasard.
 
Pour bien nous juger il faut toujours nous comparer aux autres. Pour les Suédois les feux de forêts sont chose pratiquement inconnue. Au témoignage de M. Black, un ingénieur forestier après vingt ans de carrière n'en avait pas vu un seul. Ici on vide la forêt d'êtres humains en temps de sécheresse, là-bas on la remplit de monde. On y et des familles qui y vivent, on y met des enfants, on y amène des touristes par centaines de mille, et jamais la forêt ne brûle. D'où vient la différence? C'est que tout Suédois étant éduqué de génération en génération dans l'amour de la forêt naît garde-forestier. Il est conscient du danger. Il est conscient de ses responsabilités envers lui-même, envers ses concitoyens et envers l'avenir de son pays. Nous, nous sommes éduqués de génération en génération avec une mentalité d'exploiteurs et de destructeurs de la forêt, et tout jeune Canadien est un incendiaire en puissance. Précisément parce que c'est une question d'éducation Nous n'oserons pas vous jeter la pierre trop lourde. Vous avez été trop longtemps laissés sans pasteurs et sans guides en cette matière. Vous savez maintenant que ce domaine, il est à vous, et que vous devez prendre conscience de votre responsabilité à son égard. Vous savez que vous avez un strict devoir de le cultiver pour le livrer embelli à vos descendants. L'heure est venue de trouver les autres responsables de l'incurie et de leur dire par quels moyens ils pourront faire leur part pour sauver notre domaine.
 
II – LES COMPAGNIES.
 
Esprit de progrès.

 
Nous n'avons pas l'intention de ne jeter que des blâmes. Nous avons eu l'occasion en 1908 de coucher sur le sapin dans certains camps de bûcherons et de manger la nourriture qui était leur partage pendant six mois de l’année. Nous visitons encore occasionnellement les camps. Tout près de Baie-Comeau il y avait autrefois à Manicouagan une scierie au centre d'un village. Dans les deux cas la comparaison est tout à l'honneur des compagnies actuelles. Les camps d'aujourd'hui, leur confort, leur nourriture, leur propreté, leur facilité d'accès dénotent un progrès énorme. Les habitations de Baie-Comeau et de nos autres localités forestières, ne souffrent pas la comparaison des maisons d'autrefois. Incontestablement, depuis vingt-cinq ans surtout, les patrons ont été animés d'un esprit de progrès, non seulement à l'égard de la technique industrielle, mais encore à l'égard de l'ouvrier dans des améliorations qui s'élèvent jusqu'au sens social et à la charité.
 
Nous devons encore féliciter chaleureusement les compagnies pour ces belles études de sylviculture auxquelles elles ont accordé leurs encouragements et leurs deniers. Avec nos gouvernements et nos sociologues elles ont contribué, en développant cette science, à poser la base la plus solide sur laquelle nous pouvons espérer bâtir notre édifice forestier et social. Le service est donc inappréciable. Ce n'est pas tous qui peuvent le comprendre, mais pour notre part, ayant lu et relu, ayant consulté nombre de statistiques, Nous le comprenons, et, si Nous avons à dire certaines vérités parfois désagréables, Nous les dirons avec une grande sympathie, et, qu'on en soit bien persuadé, Nous sommes animé à l'égard des compagnies de la même charité avec laquelle nous avons parlé au peuple.
 
Mission 'providentielle des industriels.
 
Qu'il nous soit permis tout d'abord de rappeler un principe. C'est toujours le même, celui dont nous avons voulu faire l'idée dominatrice de cette lettre; la forêt, pour les compagnies comme pour le peuple, est un bienfait de Dieu. Il leur est permis d'en user, non d'en abuser. Elles ont le droit d'y aller chercher la matière première nécessaire à l'industrie et d'en attendre les profits raisonnables. Mais comme le peuple, elles n'ont pas droit de détruire cette œuvre divine, surtout chez nous où cette destruction serait irremplaçable par un autre moyen de subsistance. En l'exploitant, elles doivent la conserver, l'améliorer, penser non seulement cinquante ans à l'avance en fonction des profits à réaliser, mais cinquante ans et cent ans, et deux cents ans et plus, en fonction de la survie d'un peuple par la permanence de l'industrie. Après tout, en tant qu'associations, elles ne sont que des instruments plus puissants dont la Providence se sert, comme elle se sert des individus, pour parfaire son œuvre créatrice, et assurer le pain quotidien au petit peuple, un pain plus blanc et mieux beurré. Cet aspect du problème n'est peut-être pas souvent exposé dans les délibérations des directeurs de sociétés industrielles. Pourtant c'est le premier dans l'ordre des considérations, celui qui donne leur sens à tous les autres. Nous sommes tous dans la main de Dieu, individuellement ou collectivement, et, consciemment ou inconsciemment, nous devons faire son œuvre, remplir le rôle qu'il nous a assigné. Malheur à nous si nous le remplissons mal : " Malheur à celui qui triche en faisant l'œuvre de Dieu. " (Jérémie, 48-10)
 
Erreurs des compagnies.
 
Si cette œuvre de Dieu, cette œuvre de providence permanente ne s'est pas bien faite chez nous, comme nous l'avons constaté en établissant les responsabilités du peuple, où en est la faute des compagnies ? Nous trouvons trois chefs d'accusation à leur reprocher.
1er — Elles ne sont pas venues pour rester, donc aucun esprit de fondateurs.
2è  — Faute de psychologie, elles ne se sont pas appuyées sur le peuple pour maintenir leur prospérité à perpétuité.
3è  — Dans un temps où l'on réclamait partout la liberté, elles ont créé des villes fermées.
 
En conséquence sans collaboration du peuple elles ont négligé leurs théories de conservation et de sylviculture et restent incapables de les appliquer.
 
1° Absence d'esprit fondateur.
 
Elles ne sont pas venues pour rester. Si Ton fait une ou deux exceptions, il est facile de prouver cette affirmation. Le caractère précaire des installations, la fermeture et la réouverture inopinée des opérations au moindre caprice du marché, le prouveraient déjà. Mais le fait le plus patent est celui-ci. Si on avait voulu rester on aurait réglé les coupes de façon à faire durer la forêt. Rien n'en a été fait. Certains villages aujourd'hui sont menacés de destruction à brève échéance si l'on ne réagit pas sans retard. La réaction devra être si radicale qu'il faudra réduire la coupe de 80,000 cordes à 15,000 ou 10,000, en attendant un demi-siècle une nouvelle forêt mal aménagée. En somme ce ne fut pas un esprit différent qui a animé patrons et ouvriers : ce fut un esprit d'exploitation et non un esprit de culture ou un esprit de fondateurs qui voit des siècles à l'avance. Les bûcherons de passage sont ici aujourd'hui; demain ils iront ailleurs chercher fortune. Les industries forestières venaient chez nous cueillir en toute hâte le bois pendant que cette cueillette était avantageuse; dans quelques années elles iraient ailleurs. Les familles elles-mêmes, qui venaient se fixer dans ces centres, étaient affectées de cette maladie de nomades. Comment demander alors une volonté de construire, de peupler une région, de sauver une beauté, une valeur? Autant crier dans le vent.
 
Puis, le bois venant à manquer en d'autres régions, les compagnies ont fini par jeter un regard plus attentif sur la Côte-Nord, comme sur une réserve qui pourrait bien durer à perpétuité. À tour de rôle elles se sont fait concéder de beaux domaines forestiers. Elles ont bâti des installations qui manifestent une plus rassurante volonté de durer. Enfin elles ont commencé à parler de sylviculture; mais en pratique la dilapidation, l'incurie continuent sur un train cent fois accéléré grâce au nombre plus considérable d'ouvriers, grâce encore à de nouvelles machines d'une force plus brutale. Les journaux, à longues manchettes, ont fait état de cette mécanisation. Admettons-le, il ne faudrait pas demander aux reporters d'être des juges avertis de la valeur des choses; mais la direction d'un journal, avant de leur permettre de présenter une invention comme la merveille du siècle et de former ou déformer l'opinion, devrait se demander si cette invention, en plus de sa valeur de production, est également douée d'une valeur de reproduction et d'une valeur sociale. Nous réclamons humblement la permission d'en douter pour le moment. On a dit qu'une telle initiative allait permettre de former des ouvriers mieux qualifiés. Tant mieux si cette qualification s'oriente dans le sens que nous prêchons! Mais jusqu'à preuve du contraire nous restons sur nos positions de doute. Nous craignons plutôt très fort que ce ne soit une qualification propre à quintupler sa puissance de production et de destruction. Nous n'irons pas jusqu'à condamner absolument ces méthodes. Nous Nous réjouissons de tout ce qui peut alléger le dur travail du forestier. Cependant, on ne le fera que sous une stricte surveillance, selon les données scientifiques de la sylviculture, sur des terrains appropriés, jamais sur les hauteurs. Étant donné la nature de notre région, un tel bouleversement des montagnes et des collines est aussi préjudiciable que le feu lui-même, car il signifie la sécheresse réfractaire à toute germination utile, le lavage par les grandes pluies du sol trop mince et trop peu consistant, et conséquemment le dessèchement rapide des cours d'eau. Comme la majeure partie de la région est montagneuse, l'emploi trop généralisé de la mécanisation serait fatal à tout l'ensemble du pays.
 
2° Défaut de psychologie.
 
Animés de bonnes intentions, les compagnies ont été entraînées impuissantes à ces destructions parce qu'elles ne se sont pas appuyées sur le peuple. Elles ont émis de savantes théories, que des ingénieurs et des forestiers trop peu nombreux étaient chargés de mettre en pratique. Débordés, ces ingénieurs et forestiers se sont trop souvent mués eux-mêmes en instruments d'exploitation. Leurs services ont été estimés à l'échelle des revenus, non à celle du reboisement. Heureusement que leur conscience de professionnels n'a pas toujours plié sous cette triste nécessité. D'année en année de belles protestations ont fait mûrir ce sentiment de culpabilité que Ton sent peser sur tous aujourd'hui.
 
Ce qu'il eût fallu, c'eût été dès les débuts de former une main-d'œuvre spécialisée : un ouvrier qui fût un forestier et rien autre chose. Comment demander une conscience professionnelle à qui n'a pas de profession? Comment demander à l'homme d'aimer ce qu'il considère toujours comme une dure nécessité et ce que la pauvreté seule le force à accepter? Demanderons-nous à la machine d'agir intelligemment? On a traité l'ouvrier forestier comme une machine. Nous ne disons pas qu'intentionnellement on ait voulu de fait oublier son âme, mais en pratique, eu égard à son travail, on l'a traité en machine. Une machine c'est une force aveugle, déterminée par une intelligence externe à une fonction précise et unique. On la transporte où l'on veut. Il suffit de la mettre en mouvement, et elle travaille sans le savoir. Pour couper des arbres on a besoin de force brutale, on va chercher des bras humains et on leur dit: " Bûchez ". Celui qui bûchera le plus sera la meilleure machine. Aveuglément, comme fatalement, ces bras ont bûché, sans amour, sans regard sur l'avenir. Plus triste encore, une machine intelligente, une machine au sein de laquelle bat un cœur capable d'amour, peut causer de grands méfaits, si ces forces spirituelles méconnues ne sont pas dirigées, éclairées, réchauffées. C'est ce qui est arrivé.
 
Que leur importent, à ces hommes, des théories qu'on vient leur conter en faveur de la forêt? Que leur importent les pellicules qu'on vient tourner et les conférences qu'on vient réciter dans nos villages contre les feux de forêt? Est-ce qu'elle leur appartient, cette forêt? Est-ce qu'ils y reviendront demain? Est-ce qu'elle leur assure en permanence leur subsistance? N'est-elle pas plutôt une marâtre qui les arrache à leur foyer de longs mois chaque année? Si en ce moment elle est plus rémunératrice, la forêt pendant longtemps a été une œuvre de famine, et l'homme n'en est pas encore revenu des malédictions qu'il lui a lancées.
 
Ce qu'il eût fallu, c'eût été de donner une âme à cette industrie. Mais pour lui donner une âme il eût été nécessaire de se bien persuader d'abord que Dieu a doté chaque pays, chaque région des possibilités de nourrir son monde. Il eût fallu se rappeler ensuite que la grande force de l'homme n'est pas une brutalité machinale, mais son intelligence, qu'on ne met jamais assez à profit. Il eût fallu se rappeler enfin que le meilleur moyen d'atteindre l'intelligence, c'est de passer par le cœur. Le cœur de l'homme demande l'amour, et on ne l'arrache pas impunément à son amour. S'il y a des cœurs d'hommes qui, par vocation spéciale, à cause d'un amour surnaturel, sacrifient l'amour humain, dans la généralité des cas il faut à l'homme l'amour d'une femme, non pas d'une femme que par occasion on jette dans ses bras, mais d'une femme qui soit la compagne quotidienne de sa vie, son inspiratrice, d'une femme qui partage ses joies et ses misères, d'une femme qui prie avec lui et pour lui d'une femme qui lui donne des enfants, qui soit avec eux sa raison de travailler, le stimulant de son travail, son repos chaque soir, ou tout au moins chaque dimanche. Là où vous trouverez cette femme, vous trouverez le cœur de l'homme, et là où vous trouverez son cœur, vous trouverez aussi son intelligence.
 
Villages forestiers.
 
Qu'on ne Nous prête pas de fausses intentions. Loin de Nous de vouloir faire de la femme une nomade parce que l'homme actuellement est nomade. Nous réprouvons absolument l'usage de remplir la forêt de familles, qui viennent l'automne et repartent le printemps, comme on l'a pratiqué et comme on a tendance à le pratiquer encore. Non, ce qui est nécessaire à la famille, c'est une demeure stable, où tous les membres se trouvent réunis habituellement, au milieu d'un groupe assez nombreux et assez compact pour permettre l'organisation complète de la vie sociale, nationale et religieuse. Puisque le métier du père est dans la forêt, c'est dans la forêt que doit être cette collectivité forestière.
 
Nous ne croyons pas rêver d'utopie en préconisant la formation de ces colonies forestières. Nous n'en sommes pas l'inventeur. Elles sont à l'œuvre depuis nombre d'années en d'autres pays, en Scandinavie, par exemple, et chez nous des voix autorisées les ont demandées avant Nous. (Ernest Ménard). Les bassins de nos immenses rivières s'y prêtent admirablement. Un simple coup d'œil sur celui de la Manicouagan le prouve en toute évidence. Ces villages soigneusement et scientifiquement dispersés à des points stratégiques, reliés entre eux par un bon système de routes, suffisamment pourvus d'espace pour permettre à chaque famille un jardin potager, offriraient des avantages incontestables.
 
a) Protection plus efficace contre le feu, puisque de chaque villageois on pourrait faire un garde-feu intéressé à sauver son propre patrimoine, et que, ayant du monde partout, on trouverait sur place une main d'œuvre nombreuse pour combattre l'incendie dès son éveil.
 
b) Mise à point plus rapide d'une culture forestière scientifique. L'école tout d'abord recevrait une orientation forestière, comme en d'autres endroits elle reçoit une orientation agricole. Puis l'ouvrier, sachant que la forêt est son domaine, son gagne-pain, commencerait à s'intéresser à la cultiver comme le laboureur intelligent cultive son champ. Alors seulement les leçons, les conférences, les pellicules cinématographiques prendraient un sens à ses yeux. Il pourrait commencer à reporter sur la forêt tout l'amour que l'on porte à sa petite patrie. C'est un fait d'expérience que l'on aime l'endroit où l'on demeure. Les Anglais avec leur sens des réalités l'ont exprimé dans un aphorisme que l'on a transposé dans toutes les langues : " No place like home. " Comme aimer c'est surtout faire du bien, l'ouvrier sain d'esprit, serait tout naturellement porté à écouter le garde-forestier ou l'ingénieur qui veut faire du bien à son domaine et l'améliorer. Cette main-d'œuvre plus consciente et plus qualifiée est la toute première condition de la sylviculture.
 
c) De plus ces villages, disséminés dans toute l'étendue de la forêt, sans compromettre sa vie et en rendant possible les meilleures méthodes de reproduction, permettraient de recueillir en temps tout le bois qu'une maturité avancée expose à la mort et à la pourriture. Ce fait éliminerait du même coup les dangers d'épidémies plus menaçants dans les forêts mûres. Peu à peu l'aménagement, prévu sur un plan d'ensemble, se compléterait, assurant à l'avenir de plus beaux arbres, un travail plus facile, un meilleur rendement pour tous.
 
d) Le transport du bois de la forêt à l'usine serait également rendu plus facile. Qu'on s'imagine ce que doit coûter le flottage du bois sur nos rivières dans l'état actuel des choses. Qu'on s'imagine la misère des hommes employés à ce travail. Qu'on s'imagine les pertes. Nous avions pensé qu'une perte de cinq pour cent était le gros mot. Une voix fort autorisée vient de nous assurer que dix-huit pour cent serait le chiffre le plus exact, et nous hésitons encore à croire. Quelle que soit cette perte elle démontre qu'il vaudrait la peine de faire quelque chose pour l'aménagement de nos rivières, aménagement rendu possible seulement par la présence de villages forestiers et la construction de bonnes routes. C'est le poisson qui sera content le jour où tout ce bois aura fini d'aller paver le fond de nos rivières pour encombrer les fosses propices aux frais et aux alevins. Qui osera nier que l'industrie forestière n'ait diminué de quatre-vingt pour cent la pêche au saumon en eaux douces, et du même coup compromis l'avenir de la grande pêche maritime de cet excellent poisson? Un peu plus d'ordre aurait remédié à tout. Il est encore temps d'y penser.
 
e) Envisageons maintenant le mouvement ouvrier. Nous avons signalé plus haut le flux et reflux dont notre côte est témoin. Sans doute nous le verrons encore longtemps, car nous ne sommes pas prêts à pouvoir nous passer d'une main-d'œuvre saisonnière. Mais si sur ces quinze ou vingt mille hommes qui passent annuellement, on pouvait en fixer six mille, du même coup, en comptant un minimum de quatre par famille, notre diocèse verrait sa population s'accroître de vingt quatre mille âmes. Il serait plus encourageant d'y fonder une ville épiscopale, dotée de toutes les œuvres d'éducation qui font la gloire des autres diocèses. Cependant les premières bénéficiaires seraient les compagnies forestières elles-mêmes. Actuellement pour maintenir deux mille hommes dans le bois, une compagnie doit en transporter au moins cinq mille. De ces hommes seulement vingt-sept pour cent coupent jusqu'à cent cordes et trente-deux pour cent ne coupent pas une demi corde. Pour chacun le patron a dû assurer le paiement du voyage à la compagnie de navigation ou d'aviation et assumer tous les frais du transport dans le bois et hors du bois. En plus il doit maintenir des bureaux d'embauchage dans les principaux centres et garder sur les routes une équipe de solliciteurs. Enfin l'expérience a prouvé que cinquante hommes unis en coopérative et travaillant avec méthode et ambition, font plus d'ouvrage que cent hommes dans un camp ordinaire. On y aperçoit sans peine toute la différence entre l'homme de métier consciencieux et le désabusé inapte qui encombre trop souvent nos camps pour abaisser lamentablement le pourcentage de rendement des équipes ouvrières.
 
Maintenant tous ces frais inutiles, où sont-ils pris? Sur les bénéfices de la compagnie? Non, ce ne serait pas logique. Ils sont retranchés du prix de revient de la corde de bois pour l'ouvrier. Cette corde ne doit pas coûter plus que, disons, trente dollars, rendue à l'usine. Si les frais menacent de s'élever à tel point que de dépasser ce prix, il faut rogner sur quelque chose. C'est sur le revenu de l'ouvrier que l'on rogne en bonne partie. Établissez une main-d'œuvre permanente et qualifiée, et la corde, au lieu de coûter trente dollars en coûtera vingt-cinq; et il est fort probable que vous aurez été capable sur ces vingt-cinq dollars de donner peut-être le double à l'employé. Ce ne sont pas là des raisonnements en l'air, mais des faits et des conclusions basés sur des statistiques bien établies.
 
Réhabilitation d'une classe.
 
Nous entendons une objection, qu'on Nous a jetée à plusieurs reprises: "C'est très bien, votre plan d'industrie forestière, mais en le créant vous désaffectez un groupe considérable d'agriculteurs. " Non, pas plus qu'avant. Nous ne pouvons pas empêcher les désaffectations. C'est de désaffectations que sont créés les mouvements démographiques, et ce sont elles qui permettent l'évolution de l'humanité vers les différentes utilisations de ses forces corporelles et spirituelles. Le jeune homme qui laisse la ferme pour entrer au collège classique ou commercial se désaffecte; celui qui embrasse le droit, la médecine, le génie civil, le sacerdoce, se désaffecte. Qui oserait l'en blâmer? Le secret, c'est d'empêcher dans toute la mesure du possible que le désaffecté ne détruise un service essentiel et ne devienne un déchet.
 
Trop longtemps l'industrie forestière a fait des déchets avec une partie notable de notre belle jeunesse agricole. II sera fort difficile de récupérer tous les déchets, parce que beaucoup sont blasés au plus profond de leur cœur. Mais ce quatrième ou ce cinquième enfant de la terre qui, sans aimer la glèbe, se grise du parfum des pins, pourquoi ne pas lui permettre de suivre ses goûts et de retrouver encore parmi les pins la douceur d'un foyer, la tendresse d'une épouse, l'affection des enfants? Une désaffectation est humanitaire et entre parfaitement dans l'esprit du christianisme et dans le plan divin, quand elle prend le trop-plein d'une population et lui offre l'équivalent de ce qu'il laisse. C'est une autre désaffectation qu'on a faite mais c'est celle-ci que Nous croyons possible et que Nous offrons.
 
Villes fermées.
 
Dans le passé aucun effort n'a été fait en vue de cette orientation, et c'est la raison de l'échec de notre industrie forestière, car Nous n'appelons pas succès la seule réussite matérielle d'une entreprise ou les gros dividendes qu'elle affiche. Nous appelons succès ce qui relève le niveau de l'humanité, niveau matériel, mais surtout niveau moral et spirituel.
 
L'étranger qui admire la belle tenue de certains de nos villages ou villes est facilement porté à contester notre opinion et à encenser tout ce que l'industrie a fait pour le bien-être et pour ce qu'il est convenu d'appeler la vie sociale. Nous ne voulons pas nier toute bonne volonté. Dans ces dernières années surtout, les compagnies ont fait un effort très louable pour rendre à leurs employés la vie plus aimable. Elles se sont montrées d'une collaboration spécialement bienveillante en faveur de la religion, et nous leur en devons de la reconnaissance. Si Nous Nous permettons de signaler des lacunes, c'est afin de mieux orienter ces excellentes dispositions vers une plus profonde compréhension de l'esprit humain et de la tâche qui incombe mutuellement à l'Église, à l'industrie et à l'Etat.
 
Ce manque de compréhension est le point sensible de notre insuccès. En somme ce sont de bons serviteurs que l'industrie a cherchés, des serviteurs heureux, à qui rien ne manquerait mais qui resteraient serviteurs, totalement à la disposition et à la merci de leurs maîtres. Pour qu'ils restent serviteurs on les a entourés de toutes sortes de précautions, et restrictions : on a prévu toutes les activités qui concernent leurs devoirs d'état; on a pourvu à tous leurs besoins en monopolisant le commerce et la petite industrie aussi bien que la grande; on a même pourvu d'office aux loisirs et à la vie sociale, municipale et scolaire; en un mot, on a tellement canalisé l'existence, que, à une époque où Ton prône les bienfaits de la démocratie, on a créé chez nous de petites autocraties rigides avec les villes ou villages fermés. On y trouve certains avantages, comme de permettre un meilleur choix de familles, plus d'ordre dans les débuts. Très bien! mais quand cet état de choses se perpétue il peut avoir des conséquences désastreuses sur les facultés humaines. D'abord dans l'organisation de cette vie commandée on n'a pas suffisamment tenu compte de notre mentalité canadienne-française, de nos traditions, de la forme spéciale de notre éducation, de nos aspirations, de nos humiliations mêmes, de notre foi, de notre vie religieuse, enfin de tout ce complexe de facteurs qui constitue l'âme d'un peuple. Cela, c'est une chose qu'on ne peut bouleverser sans en subir les conséquences. L'âme du peuple en a-t-elle été plus heureuse? A-t-elle apprécié ce bonheur d'occasion et commandé ? Elle s'y est jetée trop souvent avec avidité, comme on se jette sur tout ce qui est nouveau, mais elle n'a pas tardé à sentir le vide. Aussi dans nos localités merveilleusement organisées le cœur ne s'est pas attaché au sol. On sent gronder un murmure. L'homme qui y a amené sa famille aspire à partir sitôt que les circonstances le permettront parce qu'il n'a pas trouvé ici ce qui constitue le bien suprême de toute existence, la liberté, l'expression sans contrainte de son esprit d'initiative et de sa personnalité.
 
Si les circonstances le forcent à rester, les années atrophient graduellement cette personnalité ; il se résigne à n'être plus qu'un serviteur, et finit souvent par n'être même plus un bon serviteur. L'esprit de sujétion outrancière a vite fait d'amoindrir même la conscience professionnelle et l'idée du devoir d'état. C'est ce qu'un patron appelait " un déformé moral " dans un article assez rageur, paru dans le " Pic-bois " du mois de février 1945. Quel dommage qu'il n'ait su en découvrir la cause!
 
C'est vrai, comme il le remarque, que la race de ces hommes de toute confiance tend à se faire rare. Mais c'est nous-mêmes qui créons cette inconscience par contrainte des facultés humaines. Tout homme qui pose les assises d'un village ou d'une ville, qu'il le veuille ou non, fait office de fondateur. S'il y met des familles il y aura multiplication. Là où il y a des êtres humains il y a ce que Dieu a créé de plus beau, des âmes. Aux activités de l'âme personne n'a le droit de poser des limites. La seule borne légitime à cette activité c'est la loi de Dieu, dont la loi humaine doit n'être qu'une expression plus détaillée, plus précise, et cette limite elle-même tient compte de la liberté. Dans cet ordre de choses, il faut encore en revenir au principe que Nous avons exprimé au début. L'effort de l'homme doit tendre à faire ressortir la perfection de l'œuvre de Dieu, qui a voulu la plus pure expression de cette perfection dans le libre exercice des facultés spirituelles.
 
Le fondateur ne doit pas perdre de vue ce fait. Une agglomération humaine doit être une société et non un troupeau. Le troupeau est conduit par la volonté irrévocable du pasteur. La société est, sous une autorité ordonnatrice, la mise en commun de toutes les puissances physiques et spirituelles de chacun, en vue de
procurer le bien commun. Elle est donc faite de multiples manifestations, de multiples activités, de multiples initiatives. Mettez à ce rouage un autre frein que la loi de Dieu et les justes lois humaines, et vous compromettez le bien commun, qui ne s'estime pas à coup de dollars.
 
L'industriel fondateur qui s'attable pour juger son entreprise d'après ses revenus annuels fait preuve de bien courtes vues. Il assure la vie de son industrie, mais il compromet sa survie parce qu'il ne l'appuie pas sur le capital humain, qui est un capital spirituel et social, un capital qu'il faut façonner cent ans à l'avance. Si aujourd'hui nous sommes aux prises avec une population amorphe, dont on ne peut qu'à grand peine stimuler l'intérêt, même pour les questions les plus vitales, c'est que les compagnies l'ont trop attachée à leur char, c'est que, ayant entravé à l'excès sa liberté, elles l'ont ensuite gavée, en guise de compensation, de satisfactions multiples ; c'est que, ayant tout reçu à souhait, dans cette absence de soucis, cette population se désintéresse du piquant de la vie, qui consiste à être le propre artisan de son bonheur et du bonheur commun. Avant que cet intérêt ne s'efface complètement, entraînant dans sa perte toute initiative et toute conscience professionnelle, il est grand temps, chez nous comme ailleurs, de donner libre cours à l'esprit en faisant disparaître toutes les restrictions anormales. De ce jour datera peut-être un regain d'amour pour la petite patrie et pour sa source de vie, la forêt.
 
III –  LE GOUVERNEMENT.
 
Le réquisitoire semblerait assez lourd contre les compagnies. Hâtons Nous de le redire, Nous n'avons que l'intention bienveillante d'analyser la situation pour poser d'un commun accord le remède opportun. Le programme tracé peut être magnifique. N'est-il pas au-dessus des possibilités des industriels auxquels Nous venons de l'expliquer? Un grand directeur d'industrie forestière auquel Nous exposions ces vues, ne nous cachait pas son admiration, " mais, Nous disait-il, comment voulez-vous demander cela aux compagnies? L'aménagement de toutes ces immenses forêts demanderait une mise de fonds considérable. Ce serait donc supprimer les dividendes pour une période indéterminée d'années. Or les dividendes sont la condition essentielle de la vie financière d'une société. " Raisonnement très juste que Nous reconnaissons. Aussi, en traçant ce programme sous le titre compagnies, il fallait bien ordonner les idées pour qu'il apparaisse comme un tout, mais Nous n'avions pas l'intention de faire des sociétés industrielles le seul facteur de sa réalisation. C'est le moment de faire intervenir le gouvernement, qui doit lui aussi embrasser ses responsabilités.
 
Pour lui aussi Nous reconnaissons qu'il s'est occupé du problème. On ne reprochera pas à l'esprit si chrétien de nos hommes publics dans cette Province de se désintéresser de la gloire de Dieu, et de son expression plus parfaite dans ses œuvres. Messieurs les ministres ont toujours reconnu que la forêt était un domaine public, une des sources les plus fécondes de notre richesse nationale, et que par conséquent ils devaient la sauvegarder et l'améliorer par des lois sages et prévoyantes.
 
Tout dernièrement l'honorable Premier Ministre a nettement affirmé son intention de ne pas laisser dilapider ce beau domaine. Depuis nombre d'années, de grands efforts ont été tentés pour l'étude de la sylviculture et pour la formation des techniciens. Nous avons donc toute confiance d'être lu d'un œil sympathique.
 
Formation d'ingénieurs.
 
L'urgence du problème cependant demande que l'effort soit dès maintenant porté à son maximum, non pour arrêter l'industrie, mais pour la modérer et l'organiser. Pour une telle œuvre nous aurons grand besoin de bons hommes, ingénieurs-forestiers et techniciens. Il incombe tout spécialement à notre gouvernement provincial d'encourager la formation de ces hommes. Voulez-vous vous rendre compte de notre déficience lamentable dans ce domaine, voyez la comparaison suivante. La Suisse, tout petit pays, d'une superficie boisée insignifiante, mais bien organisée, employait en 1946 deux cent cinquante ingénieurs-forestiers. Le Canada tout entier, avec des forêts à aménager, n'en employait que cinq cents. La Suède en avait onze cents (M. Robson Black). Il faudrait donc orienter de plus en plus nos étudiants vers cette profession, et adjoindre à nos ingénieurs une forte équipe de techniciens. Il s'ouvre en ce domaine un bel avenir pour nos jeunes, qui y trouveraient non seulement une profession payante mais un moyen de rendre au pays un service inappréciable. L'étude conserve toujours un grand attrait, et la sylviculture est un domaine où l'inconnu est encore assez nuageux pour permettre à un esprit curieux et créateur d'exercer toutes ses facultés de chercheur. En parlant de former des ingénieurs et techniciens c'est précisément cette saine curiosité scientifique que Nous demandons de leur inculquer. Dans le passé nous en avons eu, des ingénieurs et des techniciens de ce calibre. C'est à eux que nous devons ce que nous avons. Mais à côté d'eux nous en ayons eu trop qui n'étaient que des employés d'exploitation. L'ingénieur, comme tout homme de profession, doit se rappeler qu'il ne s'appartient pas. Il peut sans doute profiter de tous les avantages personnels que lui vaut sa profession. Mais il est avant tout un instrument providentiel destiné à un service public. Avec cette conception comment, en face de Dieu et de cette belle nature et de tout le peuple, que Dieu nourrit de cette nature, comment, disons-Nous, oser faire de sa profession exclusivement une science de destruction"? Avec quelle plus poignante exaltation l'ingénieur ne devrait-il pas sentir son association spéciale à l'œuvre divine, puisque de son effort intelligent dépendent et la permanence de la forêt et celle du peuple?
 
Quand notre gouvernement distribuera des bourses et choisira des élèves pour ces études, il aura soin de le faire en faveur de jeunes gens capables de s'élever au-dessus des contingences d'un gagne-pain trop facile.
 
Programme scolaire.
 
Pour que l'effort de l'ingénieur et du technicien porte d'heureux fruits, ils doivent nécessairement trouver dans les masses cette collaboration spontanée sur laquelle Nous sommes revenus tant de fois depuis le début de cet écrit. Les couches vieillies, routinières, d'une société sont moins facilement malléables. C'est donc à la jeunesse qu'il faut s'adresser. Nous serait-il permis de suggérer la création dans les principaux centres d'écoles moyennes de sylviculture, tout comme on a des écoles moyennes d'agriculture dans les régions agricoles? Ces écoles, tout en préparant l'opinion, auraient l'avantage de faire découvrir les talents propres aux études supérieures dans ce domaine. Leur influence serait considérable.
 
Si par ailleurs on introduit un programme forestier à l'école primaire, si on encourage les clubs Quatre H, on forme déjà tout un courant d'idées extrêmement propice. A propos de programme forestier à l'école, M. A. Koroleff a publié une intéressante brochure " Woodlot Management, " Nous n'en connaissons pas de traduction française. Pour nos catholiques il suffirait d'y démontrer non seulement le côté purement utilitaire mais l'œuvre de Dieu à parfaire, et nous y trouverions toute la substance d'une saine sylviculture. Le " woodlot " ou lopin forestier pour l'école devrait être une forêt expérimentale, dont il faut doter chaque village. Elle serait facile à trouver. Chaque localité est bordée de jeunes forêts en train de croître dans le désordre parce qu'on les a coupées une fois sans songer à leur résurrection. Pourquoi les jours de congé ne pas y lancer nos enfants d'école, nos clubs 4-H, nos scouts, sous la direction de leurs maîtres, et de techniciens? La Suède le fait; pourquoi pas nous? Quelle merveilleuse et pratique leçon de choses pour ces jeunes ! Quel sport en même temps! On s'évertue actuellement à encombrer les loisirs de nos enfants de jeux, de friandises, de liqueurs qui les empoisonnent, comme si la famille et la patrie n'attendaient jamais d'eux un petit devoir d'état à remplir, et comme si la nature ne leur offrait pas le plus beau des sports, la plus élevante des occupations, une prise de conscience anticipée de leurs responsabilités futures. Quand nous aurons créé ce mouvement scolaire la brise chantera un plus joyeux chant d'espoir dans les arbres.
 
Système routier,
 
Et nous en sommes rendus à la pièce de résistance : un système routier à travers la forêt. C'est la condition nécessaire à l'application d'un plan rationnel de sylviculture, et à l'installation des colonies forestières dont Nous avons parlé. L'état de maturité excessive de nos forêts demande qu'on s'empresse de se débarrasser des arbres trop vieux. Actuellement, faute d'organisation, et de moyens de transport on coupe la forêt par tranches, comme un homme fauche son champ, avec tous les inconvénients d'une pareille méthode. On aura vite fait de l’abattre complètement mais pas assez vite encore pour sauver des millions de pieds de bois, qui mourront en semant la maladie chez les arbres plus jeunes. Des routes, se ramifiant à travers tous les bois, dans les bassins des rivières, une population toujours sur place et dûment préparée et dirigée, obvieraient à de si grands inconvénients. Il n'y a personne qui ne l'admette. Mais le coût! C'est lui qui fait reculer les compagnies. Ferait-il reculer aussi le gouvernement? Mais que dire d'une association des deux? Les compagnies dépensent annuellement de fortes sommes pour la construction de routes en forêt jusqu'aux points les plus reculés de leurs opérations, car elles reconnaissent la nécessité d'assurer la circulation en toutes saisons. Ne pourrait-on pas leur demander au moins cette contribution annuelle?
 
Ensuite il faut admettre que les impôts sur les compagnies forestières, les coupes de bois sont un des plus substantiels revenus de la province. On peut se demander ce qui est retourné à la forêt de cette contribution à la richesse nationale. Ne serait-il pas dans l'ordre de l'équité de lui remettre une partie de ce revenu pour lui sauver la vie; cette pauvre grande malade? Si Ton doit dépenser de fortes sommes pour l'établissement des colons, on peut bien en dépenser pour rétablissement des forestiers. Nous osons rappeler que chez nous on a pris l'habitude d'attribuer un sens tout à fait restreint à ce mot, colon. Il n'y a pas qu'une forme de colonisation. Celle que nous proposons n'est pas agricole, mais elle est quand même de la vraie colonisation, et Dieu sait combien utile au pays. N'a-t-elle pas droit à sa part de subsides? Enfin puisque la chose presse, un emprunt dans ce but serait fort opportun. Nous sommes assurés que les compagnies forestières n'hésiteraient pas à payer un double droit de coupe et même plus pour couvrir cet emprunt, puisque, comme Nous l'avons expliqué plus haut, l'aménagement de la forêt et l'établissement sur place d'une main d'œuvre qualifiée leur épargneraient tant d'autres frais
considérables et inutiles.
 
Importance d'une action prompte.
 
Il ne Nous appartient pas de fixer des règles ou d'indiquer des méthodes à nos gouvernants. Ces idées ne sont que des indications succinctes, destinées à bien mettre en évidence la grande nécessité d'agir promptement et énergiquement. Encore une fois pour ce grand pays du comté de Saguenay il s'agit de continuer à produire ou de se dessécher en désert; il s'agit de se peupler ou de perdre une partie d'une population déjà trop petite; il s'agit de s'éveiller et d'entrer dans l'évolution spirituelle qui honore les autres régions ; il s'agit de vivre ou de mourir. La réalisation de ce programme forestier est donc pour nous le premier des problèmes, le service le plus essentiel que notre gouvernement et nos industriels puissent nous accorder. Quelles que soient les réactions à notre appel, quelles que soient les méthodes auxquelles on aura recours, il faudra que nos hommes ne perdent pas de vue cette nécessité. Dans un an ou deux nous aurons au Saguenay notre député bien à nous. Qu'il se mette parfaitement au fait du problème forestier, qui est à la fois un problème ethnique, un problème économique et un problème social.
 
IV – CLERGÉ.
 
Et vous, chers collaborateurs, prêtres de notre diocèse, vous avez saisi notre pensée. Qu'elle soit désormais une orientation de toutes vos activités. Nous n'avons pas l'intention d'imposer nos vues aux autres évêques, qui, jugeant des circonstances de temps et de lieux, ont dirigé leur troupeau avec toute la sagesse inspirée propre à l'Eglise. Chez nous les circonstances sont tout autres. Nous comptons sur votre collaboration pour mettre en œuvre cette même sagesse, dans la conviction que sur nous plus que sur tout autre repose l'obligation de conduire l'œuvre de Dieu à sa perfection. Puisque nous avons fait le procès des responsabilités qui ont causé notre retard, nous pouvons bien faire également le procès des nôtres. Nous aussi, nous nous sommes trop désintéressés de cette question. Loin de Nous l'idée de blâmer le zèle vraiment apostolique de votre ministère sacerdotal. Mais nous avons cru trop longtemps que ce ministère ne nous demandait que d'assurer le service religieux de nos paroisses, de nos missions et des camps de bûcherons. Nos prêtres l'ont fait avec une piété et un désintéressement exemplaires. Mais, tout en s'apitoyant souvent sur le sort de ces hommes et sur leur instabilité lamentable, ils en ont accepté le fait comme acquis. Inconsciemment à cet égard ils ont été fatalistes. N'ont-ils pas oublié que le ministère du prêtre n'est pas profond tant qu'il n'engendre pas des courants d'idées capables de remuer les niasses? Certains prêtres d'une personnalité puissante ont si bien lancé ces courants d'idée dans les œuvres qu'ils continuent à rayonner longtemps après leur mort. Nous ne Nous faisons pas illusion. Nous ne verrons pas la réalisation de ce beau rêve; d'autres le verront. Les masses sont lourdes à remuer. Dans l'ordre d'idées qui nous occupe nous devrons supporter de nombreuses contradi ctions, mais il faudra tenir. On sourira en nous disant: "Vous êtes allés chercher votre idéal en des pays plusieurs fois séculaires pour l'imposer à notre pays tout jeune, aux prises avec des difficultés presque insurmontables. " C'est vrai, mais ces pays, ils ont dû commencer un jour, -ils ont connu nos difficultés avant de réaliser leur organisme admirable. Ne devons-nous pas commencer nous-mêmes? C'est tout ce que Nous demandons. Qu'on commence! On y mettra cent ans, deux cents ans et plus, mais qu'on commence! Vous, chers collaborateurs, vous appuierez nos efforts; vous diffuserez, vous expliquerez nos idées; vous les enrichirez de nouvelles et plus sages conceptions, et ensemble nous aurons la gloire d'avoir lancé un courant salutaire d'idées.  Mais peu importe notre gloire à nous pourvu que l'œuvre de Dieu soit glorifiée pendant les siècles. Car si quelqu'un doit penser non au jour le jour mais en terme de siècles, c'est bien nous, prêtres de Dieu, représentants de l'Eglise immortelle. Personne plus que nous ne doit chercher cette progression dans l'expression plus parfaite de la création, d'autant plus qu'elle touche, non surtout à un aspect économique et matériel, mais à un aspect profondément humain, qu'on ne peut séparer de l'aspect chrétien.
 
La doctrine que Nous avons enseignée à travers toutes ces pages est entièrement inspirée des encycliques Rerum Novarum et de Quadragesimo Anno, puisqu'elle tend, sans doute à sauver de la destruction les arbres créatures de Dieu, mais avant tout qu'elle veut remettre l'homme bien en face de sa propre dignité, et bien en face de la dignité de ses semblables, dignité qui est une ressemblance spirituelle avec Dieu même. Le jour où patrons et ouvriers seront bien convaincus du fait de cette dignité et de cette ressemblance, le problème de leur collaboration sera résolu et on marchera en harmonie vers le progrès de l'industrie et vers le relèvement de l'humanité.
 
V – OUVRIERS.
 
Oui, votre relèvement à vous, chère humanité travaillante. Nous sommes profondément sensible à votre sort. Si cette lettre constitue un grand effort pour sauver la forêt de la destruction, elle a surtout pour dernière fin de vous sauver, vous, d'une misère que vous avez déjà connue et d'une déchéance dont vous auriez à souffrir et dont Nous porterions l'ignominie comme une flétrissure à notre ministère. Dans ce but de relèvement, l'an dernier Nous avons inauguré la formation des Syndicats catholiques des ouvriers en forêt. Nous ne l'avons pas fait pour les dresser comme une arme de guerre contre les compagnies, mais pour vous procurer un moyen de meilleure entente et de collaboration plus intelligente et cordiale, un moyen de vous unir les uns aux autres afin de mieux étudier en commun les problèmes qui intéressent votre métier et l'avenir de votre industrie. Nous l'avons fait pour trouver votre coopération quand Nous cherchons à assurer un foyer et un bonheur à ceux qui n'en ont pas. Nous le répétons, si vous voulez trouver la prospérité dans la stabilité, et le libre exercice de votre intelligence et de votre volonté, soyez les propres artisans de votre bonheur. Nous, Nous pouvons vous aider, Nous ne pouvons rien faire pour vous sans vous. Nous vous exhortons donc instamment à donner votre nom aux syndicats catholiques. D'autres organisations syndicales viendront solliciter votre adhésion. Ne les écoutez pas. Elles professent la neutralité à l'égard de l'Eglise, donc à l'égard de Jésus-Christ. Leurs propagandistes vous diront qu'ils ne sont pas contre Jésus-Christ, mais qu'ils l'ignorent dans leurs assemblées et leurs délibérations ; qu'ils ignorent l'Eglise, interprète et sage gardienne de la doctrine de Jésus-Christ. Ils ne sont pas contre l'obéissance à l'Eglise dans la vie privée; ils refusent son ingérence, son enseignement dans la vie syndicale. C'est Jésus-Christ lui-même qui répond à ce sophisme : " Celui qui n'est pas avec moi est contre moi. " L'Eglise, c'est le corps mystique de Jésus-Christ. La rejeter, rejeter sa doctrine sociale, c'est rejeter Jésus-Christ et sa doctrine. Que peut-on vous donner de mieux que la doctrine de l'Eglise en ce domaine? N'est-ce pas elle qui depuis sa naissance a pris la défense de l'ouvrier, héritier du divin ouvrier, Jésus? N'est-ce pas elle qui dans nos temps modernes nous a donné encore la clef sociale des problèmes ouvriers avec les deux magistrales Encycliques: Rerum Novarum et Quadragesimo Anno? N'est-ce pas elle encore qui la première dans ce diocèse se préoccupe de votre bonheur et du bonheur de vos enfants, de génération en génération? Votre vie syndicale, votre vie ouvrière, .et, simplement toute votre vie est trop mêlée à votre religion, à votre morale pour que vous puissiez dire à l'Eglise: " Nous pouvons nous passer de vous. " Prenez garde de rester comme des brebis sans pasteurs ou de tomber sous la conduite de loups déguisés en brebis. Donnez vos noms aux syndicats, mais puisque dans cette province nous avons l'avantage d'avoir des syndicats bien catholiques, que ce soient les vôtres, à vous catholiques, ouvriers de la forêt.
 
Avant longtemps, sitôt que Nous aurons pu vous grouper davantage, Nous créerons, ou plutôt, vous créerez à notre demande vos coopératives forestières. Ah ! si vous saviez avec quelle ardeur Nous appelons ce jour!
 
Pour Nous, chers ouvriers, vous ne serez jamais trop libres dans Tordre, jamais trop heureux dans l'estime de vos chefs et de vos concitoyens. Mais pour que vos croix soient moins lourdes, pour que le labeur s'accomplisse au rythme d'un chant, pour que le bonheur remplisse nos cœurs, pour que ce pays se couvre de foyers prospères, nous avons besoin de donner, tous et chacun, notre concours. En disant ce dernier mot Nous entendons cet avertissement de l'Ecriture: " Nisi Dominus edificaverit domum in vanum laboraverunt qui aedificant eam. " Si le Seigneur ne construit pas la maison, c'est en vain que travaillent ceux qui la construisent. " PS. 126.
 
Pour que Dieu soit le grand artisan de ce bel édifice décrit dans ces pages, vous tous, nos très chers frères, vous tous qui avez intérêt dans la forêt, vous tous, ouvriers et patrons, gouvernants et prêtres du Très-Haut, joignez-vous à Nous dans un chant de reconnaissance et de louange : " Soyez béni, Mon Dieu, pour ce pays du Saguenay, que vous nous avez donné. Soyez béni pour le Golfe si riche et si beau dont vous l'avez bordé. Soyez béni pour toutes ces puissantes rivières que vous y avez fait couler. Soyez béni pour nos lacs, nos plaines et nos montagnes. Soyez béni de nous avoir associés à vous pour accomplir la perfection de votre création ! Notre Père qui êtes aux Cieux que votre Nom soit sanctifié ! Non ! Plus blasphémé, mais sanctifié avec amour! Que votre règne arrive ! Qu'il arrive avec toutes ces églises qui viendront un jour peupler la solitude des bois. Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ; faite en tout par un peuple attentif à toujours observer,, votre loi, celle de l'Eglise et celle de l'Etat. Donnez-nous aujourd'hui notre pain. Donnez-le-nous par la production de cette forêt bénie, que nous allons nous mettre à aimer, à protéger, à cultiver pour que nos fils, en chérissant notre mémoire, vous bénissent encore, O Dieu, dans les siècles à venir.
 
Sera la présente lettre pastorale lue et publiée au prône de toutes les églises et chapelles le premier dimanche après sa réception.
 
Donné à Baie-Comeau, sous Nos seing et sceau et sous le contreseing de Notre chancelier, ce ­­­­trentième jour d'avril mil neuf cent quarante-huit.
 
NAPOLEON-ALEXANDRE, c. J. M. Evêque du Golfe Saint-Laurent.
 
Par mandement de Son Excellence,
René Bélanger, P. D., Vicaire Général & chancelier.


LETTRE PASTORALE
DE SON EXCELLENCE MONSEIGNEUR L'EVEQUE DU GOLFE SAINT-LAURENT
Sur la Forêt
NAPOLEON-ALEXANDRE LABRIE,
DE LA CONGREGATION DE JESUS ET MARIE,
PAR LA GRACE DE DIEU ET DU SIEGE APOSTOLIQUE, EVEQUE DU GOLFE ST-LAURENT,
Au clergé séculier et régulier et à tous les fidèles de Notre Diocèse,
Salut et bénédiction en Nôtre-Seigneur.
 
Nos très chers frères,
 
Au cours de Notre carrière sacerdotale, déjà longue d'un quart de siècle, et surtout depuis notre élévation à l'épiscopat, Nous Nous sommes chaque jour arrêtés à méditer sur l'avenir de cette région qui Nous a vu naître et qui est maintenant confiée à nos soins de pasteur. Nous l'avons aimée d'un grand amour. Personne plus que nous n'a voulu la voir belle et prospère. Certes notre premier souci a toujours consisté à chercher son bien spirituel puisque c'est la très haute fin de Notre charge, mais, comme pour servir Dieu avec liberté et amour filial il faut toujours une certaine somme de bien-être, Nous ne Nous sommes jamais désintéressés de son bonheur temporel. Nous trouvons d'ailleurs un encourageant exemple dans cette longue chaîne d'Évêques qui ont succédé aux Apôtres. L'Église a toujours été une institution créatrice. Les monuments qui, dans les arts, les sciences, l'industrie, jalonnent sa longue carrière, attestent qu'elle ne s'est pas contentée de défendre la foi et de prêcher la charité, qu'elle ne s'est pas confinée dans la spéculation ou la dialectique, mais que partout et toujours invariable et immuable dans ses principes, elle a su, dans leurs applications, s'adapter aux circonstances, et tirer parti de cet incomparable et unique capital humain de l'intelligence, de la volonté et de la puissance collective des peuples sagement dirigés.
 
Vocation spéciale de notre région.
 
Nous sommes donc très à l'aise aujourd'hui en abordant un sujet d'apparence matérielle, mais dont le succès ou l'insuccès aurait des répercussions d'une extrême gravité spirituelle. Ce sujet hantait Notre esprit. En parcourant les belles campagnes de notre Province Nous Nous demandions par l'effet de quelle malédiction la Providence ne nous avait pas donné, à nous aussi, des terres fertiles où les blés auraient pu mûrir sous l'ondulation de la brise. Nous avons cherché vainement ces terrains, nous avons lu, nous avons consulté des experts, et à force de réflexion Nous avons fini par Nous dire que la parole de Saint Paul, parlant des personnes, s'applique aussi aux pays. Elle serait à plaindre la société dont tous les membres seraient ou apôtres, ou prophètes, ou docteurs, en un mot exerceraient la même profession, quelque perfection qu'ils apportassent à cette profession. Dans l’ordre providentiel une société tend à sa fin par la diversité des talents, des caractères, des aptitudes. C'est l'unité dans la diversité. Il en est de même dans la destinée des pays. Si toutes les régions se ressemblaient l'économie d'un pays serait compromise. Si toutes les terres de cette province étaient propres à l'agriculture, nous aurions peut-être étendu inconsidérément nos espaces en culture ou en jachères et nous n'aurions plus de bois.
 
Or le bois est une des plus grandes nécessités de la vie. " Nous pouvons affirmer sans craindre la contradiction, écrivait le professeur Fernow, qu'après les produits nécessaires de l'alimentation de la vie humaine, rien n'est d'un usage aussi universel ni aussi indispensable, dans l'économie domestique et publique, que le bois. En effet, si vous faites abstraction du bois, et du bois en grande quantité, il nous sera impossible de concevoir l'idée de la civilisation." Ces paroles, écrites en 1906 sont restées d'une actualité surprenante. Les autres produits de l'industrie ont eu beau se développer à une rapidité vertigineuse, les nouvelles " techniques, les nouveaux usages, les transformations de la physique et de la chimie ont gardé au bois sa place enviable dans l'économie du pays.
 
Aussi, Nos très chers Frères, nos lectures, nos conversations avec les hommes de la science, du métier, et de l'industrie, nos méditations sur l'avenir de notre région ont fini par remplir notre âme d'une conviction reconnaissante et d'un grand espoir. Après tout la Providence n'a pas été si parcimonieuse à notre égard. Car dans le concert qui monte du sol canadien à la gloire du Créateur notre région à nous chante spécialement ces versets: " Bénédicité fontes Domino : bénédicité, maria et flumina Domino " Dan. 3. 5. " Laudate Dominum, montes et omnes colles; ligna fructifera et omnes cedri " PS. 148. "Sources, mers et fleuves, bénissez le Seigneur. Louez le Seigneur, montagnes et collines, arbres fructifères et cèdres altiers. "
 
Des sources et des rivières, où Dieu en a-t-il fait couler de plus belles et de mieux fournies de pouvoirs hydrauliques d'une puissance illimitée? Quelle mer est plus admirable et poissonneuse que notre golfe?
 
Il a caché sous nos collines et nos montagnes des richesses minérales que nous venons à peine de deviner, et il les a embellies de forêts immenses qui nous offrent en abondance ce produit essentiel à la civilisation, le bois. Comme pour nous bien faire comprendre que tel doit être la fonction, le rôle, la vocation de notre région à nous, il a fait pousser ce bois sur un sol qui, sauf quelques rares exceptions, n'est propre qu'à la culture du bois, ou à la sylviculture, pour l'appeler par son vrai nom. Ce serait donc mal comprendre notre vocation comme groupe social, ce serait mal apprécier la destinée providentielle de notre région que d'essayer de substituer à la sylviculture un autre genre de produit. Ce serait nous vouer à un échec lamentable et créer un désert là, où Dieu avait semé la fécondité, la beauté, la richesse.
 
Dieu en effet nous a donné la richesse dans nos forêts et une très grande richesse, " car $25.00 sur chaque $100.00 de notre richesse et de notre revenu viennent de nos arbres. " (Les forêts et les industries forestières. Banque Royale du Canada. Janvier 1947.) Richesse inépuisable. Un jour viendra où les mines auront donné leur dernier lingot, mais la forêt, elle, continuera de pousser des arbres toujours plus beaux et plus riches, pourvu que nous nous donnions la peine de l'aimer et de la traiter avec intelligence dans un esprit de prévoyance.
 
Perfectibilité providentielle de la création par l'homme.
 
Oui, pourvu que nous nous donnions la peine de la traiter avec intelligence. On murmure souvent contre les choses lorsqu'on devrait s'accuser soi-même parce qu'on ne se donne pas la peine de mettre en valeur cette haute faculté de l'intelligence. Dieu a créé l'homme perfectible, et dans sa bonté il lui a confié le soin de sa propre perfection, qu'il a fait dépendre de ses deux facultés: l'intelligence et la volonté. Parmi toutes les merveilles de l'univers visible le chef-d'œuvre des mains de Dieu, c'est incontestablement l'intelligence et la volonté humaines. N'est-ce pas du fait de son intelligence et de sa volonté que l'homme tire sa ressemblance avec Dieu dans l'ordre naturel, et dans l'ordre surnaturel quand la grâce sanctifiante vient diviniser les œuvres d'intelligence et de volonté? Par l'opération de ces facultés seul parmi les êtres visibles l'homme peut connaître et comprendre la nature des choses et se déterminer librement à l'action dans la poursuite de sa fin. Quand l'homme néglige de mettre en œuvre ces nobles facultés pour agir par caprice ou par instinct il n'avance plus vers la perfection, il crée le désordre, la peine, la souffrance, parce qu'il descend au-dessous de sa nature, il rétrograde vers l'animalité pure.
 
Ce n'est pas tout. Dieu non seulement a créé l'homme maître de sa propre perfection, mais il a encore fait dépendre la perfectibilité des êtres matériels de cette intelligence et de cette volonté humaines. Il était assez puissant pour donner aux choses créées la plénitude de la perfection possible à leur nature. Mais parce qu'il a voulu associer l'homme, son chef-d'œuvre, à son œuvre créatrice il a caché dans la nature des beautés, des bontés, des énergies que l'intelligence humaine devait découvrir et que la volonté devait faire apparaître. Les fruits qui font les délices de nos tables ne sont plus nécessairement tels que Dieu les a créés. Mais les savants ont beau tirer orgueil de leurs découvertes étonnantes et s'appuyer sur leur science pour nier Dieu, il n'en reste pas moins vrai qu'il est Fauteur tout aimable de toutes les choses et de leur perfectibilité. La merveille des merveilles vient de ce qu'il ait donné à l'homme cette puissance de compléter une œuvre divine. Nous dirons même plus, l'homme, ayant reçu de Dieu une telle puissance, encourt à l'égard de Dieu une lourde responsabilité s'il ne cherche pas à compléter cette œuvre en lui-même et dans les choses qui lui sont confiées, et surtout s'il abuse de lui-même et des choses. Nous ayons là toute la raison de la fin temporelle de l'humanité et même de sa fin éternelle. L'on comprend mieux également comment l'homme invite les choses à louer le Seigneur puisque cette voie de progrès dans laquelle il les lance est une manifestation toujours plus admirable de l'intelligence, de la bonté, de la beauté, de la sagesse, de la puissance du Créateur. " Bénédicité, omnia opéra Domini, Domino!" "Œuvres universelles du Seigneur, bénissez le Seigneur!" Dan. 3. 57.
 
Nos manquements à cette vocation par rapport à la forêt.
 
1° Dans tout le pays.
 

Reportons maintenant notre raisonnement sur la forêt qui nous intéresse. Ce que nous allons dire n'est pas une étude technique d'industrie forestière ou de sylviculture. Malgré de longues années d'étude et de réflexion, Nous reconnaissons qu'il ne Nous appartient pas de présenter le problème sous son aspect technique. D'ailleurs ce travail n'est plus à faire. Il y a longtemps que les sociologues, les hommes politiques, les industriels se sont préoccupés de l'avenir de la forêt. Avant de dire les responsabilités de chacun, Nous rendons hommage à l'effort déjà accompli. Dès 1903 le professeur B. E. Fernow, L. L. D, dans une série de magistrales conférences posait le problème en face du public. Depuis, les gouvernements et les compagnies forestières, les universités ont dépensé de fortes sommes pour créer des écoles de sylviculture, et envoyer des ingénieurs forestiers étudier l'organisation des admirables forêts européennes. Sont à lire les études de MM. G.-C. Piché, Esdras Minville; une belle conférence de M. Ernest Ménard, I.F.; les comptes rendus de Congrès provinciaux de l'Association forestière Québécoise; une belle étude de la Banque Royale, janvier 1947; Practical Woodlot Management, par A. Koroleff; Note Book of a Conservationist abroad, par Mr. Robson Black ; enfin le rapport de la Commission Royale d'Ontario 1947; etc, etc. Bref si nous avons péché ce n'est pas faute de science. Ce qui a manqué, c'est l'action coordinatrice d'une intelligence; c'est la voix d'un chef qui eût exprimé en œuvre ce que l'intelligence avait déjà su découvrir de beauté, de bonté et de perfectibilité dans l'œuvre forestière du bon Dieu. Dans la pratique nous en sommes aux mêmes méthodes destructives, et, s'il y a progrès, c'est dans la voie de la destruction, grâce à la mécanisation. 
 
Serait-ce présomptueuse ambition pour cette humble lettre que de désirer être la voix de la conscience, le cri d'alarme qui signale la catastrophe vers laquelle nous nous précipitons en dépit de notre science, l'examen qui fait reconnaître les fautes et montre les remèdes à prendre contre  notreprodigalité impardonnable? Que Dieu, Créateur de toutes les beautés et de tous les bienfaits qui nous entourent, que Dieu, Maître bien-aimé, dont nous recherchons la gloire dans le bonheur de ses créatures, bénisse la hardiesse de notre tentative!
 
Nous avons été prodigues. Qui oserait le contester? Nous n'avons pas traité la forêt avec toute la déférence et toute l'estime reconnaissante que mérite une des plus belles œuvres de Dieu. Egoïstes, nous avons songé à nos profits sans entendre la voix de nos enfants qui nous reprocheront de n'avoir pas fait fructifier ce talent, mais d'avoir en quelques années dilapidé un riche héritage. Loin de songer à l'embellir ou à l'améliorer comme nous en avions la mission, nous l'avons détruite inconsidérément. Nous l'avons fait reculer comme une ennemie. Notre petit peuple, qui en d'autres ordres de choses a posé de si solides assises d'une grande nation, a fait preuve, quand il s'agit de la forêt, d'une imprévoyance et d'une insouciance inconcevables envers des générations futures. Admettons-le de suite, il y a des circonstances fortement atténuantes à notre faute. Nous sommes un peuple de pionniers, issus d'une race d'agriculteurs. A notre arrivée la forêt couvrait le pays. Il fallait qu'elle recule pour permettre l'agriculture. Ce fut la tâche des premiers colons. L'abondance des arbres était un défaut au pays. Seuls les plus beaux pouvaient servir à l'industrie, les autres devaient disparaître, être brûlés sur
place.
 
Nous en avons hérité d'un complexe d'inimitié à l'égard de la forêt, et comme d'un instinct qui porte à lever la hache ou à mettre le feu dès qu'on aperçoit un arbre. Cette mentalité pouvait se développer facilement du fait que l'abondance paraissait inépuisable.
 
La grande industrie, qui dans la suite est venue s'ajouter à l'effort du colon n'a pas été plus sage. Sous prétexte de profits elle a déboisé sans aucune considération sans aucun souci d'aménagement permanent de la forêt, d'organisation rationnelle de l'exploitation, de sociologie chrétienne à l'égard de l'ouvrier. Comme résultats, si en bien des endroits la présence de belles fermes a pu remplacer avantageusement le bois, en beaucoup d'autres on a créé le désert là où la Providence n'avait prévu qu'une seule abondance, celle du bois. Comme cette Providence infiniment sage y avait placé cette abondance de bois comme régulatrice du cours des eaux, protectrice des animaux et des poissons, du même coup on a détruit ceux-ci, et on a permis des inondations désastreuses, suivies des dessèchements non moins dommageables, et des érosions qui emportent chaque année des millions de tonnes de bonne terre. En même temps l'industrie mal dirigée, profiteuse et sans conscience sociale, a causé la désaffectation de toute une classe agricole, sans lui donner l'équivalent d'un métier capable de suffire à une existence familiale en rapport avec sa dignité d'homme et de chrétien.
 
2° Dans le comté de Saguenay.
 
Ce tableau, brossé à grands traits, dont on pourrait assombrir considérablement les tons, prendra un aspect infiniment plus hideux si on le transpose chez nous, dans notre comté de Saguenay, à quelque cinquante ans dans l'avenir. Quel spectacle nous offrira alors le pays si nous maintenons l'exploitation forestière au rythme désordonné sur lequel nous l'avons lancée? De belles fermes pour remplacer les arbres? Mais où prendrons-nous la terre pour y créer des fermes? Pour nous faire une idée de la désolation désertique qui nous attend dans cinquante ans, il suffit de jeter un coup d'œil sur l'incurie criminelle dans laquelle on laisse les espaces déboisés en dépit de notre science forestière ; il suffit de passer sur nos routes et de contempler à travers des larmes tous ces rochers léchés par les flammes. Ceux qui n'ont pas les moyens de se rendre sur les lieux pourront se renseigner en lisant les publications que nous fournissent chaque année les ministères de la Colonisation et des Terres et Forêts ou en regardant les photographies du Rapport de l'Enquête royale de l'Ontario.
 
Examen de conscience.
 
Vaines cependant resteraient toutes ces jérémiades, si nous ne voulons pas une bonne fois prendre conscience de notre mission d'associés de Dieu dans le perfectionnement de son œuvre, de nos propres intérêts et de ceux de notre peuple, qui sont également ceux de l'industrie. Vaines encore si nous ne voulons pas administrer sans retard le remède que nous connaissons.
 
Ce remède va-t-il consister à chercher les coupables pour les vouer à l'exécration et les punir? Non, ces moyens démagogiques font plus de mal que de bien. Les vainqueurs qui s'assoient pour juger les vaincus risquent de commettre de lourdes injustices, sous le coup de la passion, et de ne rien changer ou améliorer. De fait, nous sommes tous coupables, le peuple dans son entier, les industries, les gouvernements. Le premier devoir pour chacun de ces groupes doit consister à voir quelles sont ses responsabilités, ses négligences et à prendre les mesures radicales qui s'imposent.
 
I – RESPONSABILITES DU PEUPLE, ET SA PUNITION.
 
Le peuple a été coupable. Nous l'avons dît suffisamment pour le peuple canadien en général ; mais pour le peuple du Saguenay cette culpabilité s'aggrave d'une prodigalité infiniment plus sérieuse. C'est le progrès, le développement, la croissance, l'existence même de notre groupe que nous jouons, à un très gros jeu. Pourquoi, après cinquante ans d'industrie forestière, ne l'avons-nous pas compris en profitant de l'expérience des autres? Pourquoi, après quelque vingt-cinq ans d'existence, certaines localités sont-elles menacées de devenir des villages fantômes faute de bois, alors qu'en Suède des localités similaires vieilles de six cents ans connaissent l'apogée de leur prospérité dans une forêt rénovée, améliorée, plus productive que jamais? Pourquoi? C'est que là-bas on a un peuple conscient; ici nous avons un peuple inconscient. Là-bas on a un peuple qui reconnaît la forêt comme sa nourricière. Il sait que la nature du sol ne lui permet pas d'autres cultures et d'autres industries ; il conserve et améliore celle que la Providence lui a donnée. Ici nous avons un peuple d'exploiteurs qui viennent arracher à la forêt en la martyrisant un peu d'argent, et maudissent en partant le sol qui l'a fait pousser. Là-bas on a un peuple qui n'a pas brûlé vingt mille acres en dix ans; et au Canada nous avons un peuple qui en brûle 2,500,000 acres par année.
 
Là-bas on a, attaché au sol de la forêt, un peuple qui y a établi en permanence son foyer. Ici dans notre comté de Saguenay, notre peuple forestier est en train de devenir un peuple errant, un peuple de déclassés, un peuple incapable de se fixer un mois au même endroit, ne trouvant que le triste courage de gaspiller son gain et rarement celui de fonder un foyer. On voit aller et venir par vagues, en flux et reflux, pendant huit ou neuf mois de l'année, cette migration de dix ou douze mille hommes. Chez eux ils sont peut-être des citoyens capables de faire honneur à leurs affaires. Dans nos localités forestières, ils n'ont plus de fierté, parce qu'ils portent sur eux la déchéance d'une classe; ils ont momentanément ou perpétuellement pris pour eux un métier honteux, celui de bûcheron, qu'on s'est mis à appeler avec plus de mépris encore " Lumber Jack ". Ils sont reçus à l'Église, parce que Dieu se penche toujours avec amour sur le publicain. Ils sont reçus à la taverne et à d'autres endroits plus ou moins louches parce que le démon de la cupidité leur a mis au cœur le démon de la prodigalité. Mais dans les familles on se réserve, non sans raison. Ce sont des " gas de chantier, des lumber jack ! " Et ils s'en vont, ces malheureux, blasphémant contre tout, ils s'en vont sans argent, sans conscience professionnelle; ils s'en vont sans amour; ils s'en vont sans foyer. Ils conservent encore assez de religion pour être préservés des grandes aventures sanglantes. Dieu merci, nos missionnaires trouvent toujours de belles âmes dans les camps. Ils n'ont pas perdu la foi de leurs mamans, mais qui sait si demain ils ne seront pas mûrs pour la grande folie. Les indices ne manquent pas, et la hache qui vibre sur les nœuds prend des résonances de tocsin. C'est peut-être un peu sombre mais c'est cela, et si l'on ne se met pas bien vite à l'œuvre nous arriverons infailliblement à deux échéances fatales: ruine totale de la forêt et donc de toute cette région, et déchéance lamentable d'un riche capital humain.
 
Comment en effet dans une telle débandade demander à ce peuple de protéger la forêt, de peupler cette immense et belle région? Pourtant Dieu en face de cette région nous a dit à nous tous qui venons y chercher notre pain: " Croissez et multipliez vous; remplissez la terre. " Les régions sur lesquelles pour la première fois il a prononcé ces paroles d'amour, autrefois merveilleusement riches et belles, sont maintenant des déserts parce que les nations ont abusé de la nature et l'un de leurs premiers abus a été de détruire les arbres. Disons à leur décharge qu'elles étaient excusables de n'avoir pas notre science de la sylviculture, de la sociologie et de l'ethnologie. Nous, nous n'avons plus d'excuses. Si un jour nous nous réveillons dans la pauvreté de l'Enfant prodigue après avoir gaspillé notre bien, nous n'aurons pas d'autres à accuser que nous-mêmes.
 
Remèdes à appliquer.
 
Il importe donc de donner un coup de barre, de prendre des mesures énergiques, 1° pour refaire notre éducation en fonction de notre mode de vie forestière, 2° pour cultiver la forêt, non uniquement en rapport avec le revenu qu'elle peut nous apporter à nous-mêmes, mais surtout en vue de la survie d'un peuple dont cette génération est la fondatrice au Comté de Saguenay. A qui de prendre l'initiative? Aux compagnies, au gouvernement, contre lesquels il est de bon ton de déblatérer chaque fois que quelque chose ne va pas? Les compagnies et le gouvernement auront leur part à faire, et nous allons la leur dire. Mais les premiers à se mettre à l'œuvre doivent être nous, les gagne-petit, nous le peuple, qui avons comme sort de nous river au sol une fois que nous y avons pris pied. Les compagnies s'enrichiront et s'en iront sans connaître notre misère, mais nous, nous resterons et nos fils resteront. Si nous sommes sages tout le monde restera, les compagnies et le peuple, pour maintenir la prospérité dans la collaboration.
 
Appel à tous.
 
C'est nous, car tous les efforts des sociologues, des techniciens en sylviculture, des industriels, n'aboutiront à rien si nous ne sommes pas un peuple conscient et progressif, désireux de collaborer de toute son âme au bien commun. Nous lançons cet appel à vous, résidents du comté, à vous colons, à vous bûcherons, à vous tous, chers diocésains. On vous dira comment défricher vos lots, comment administrer vos coupes de bois, comment préparer le terrain pour l’ensemencement naturel, comment protéger les jeunes arbres qui ont déjà grandi à l'ombre de ceux qui vont être sacrifiés. En un mot on vous dira comment administrer une forêt, qu'elle appartienne à vous, à une compagnie, à une municipalité ou au gouvernement. Apprenez cette science.
 
Quel est celui qui peut se vanter d'avoir été prévoyant? Comment expliquer que dans une région exclusivement vouée à l'industrie forestière les familles en soient réduites à recourir au mode de chauffage le plus dispendieux, le chauffage à l'huile, parce qu'il leur en coûterait aussi cher d'acheter du bois? Comment se fait-il que des colons après vingt ans d'occupation ne trouvent pas un arbre sur leur terre et pas plus de choux ou de foin? Comment se fait-il que l'on ait toutes les misères du monde à défendre les réserves cantonales contre une frénésie de destruction? Ces faits n'indiquent-ils pas un manque d'organisation et de prévoyance? Apprêtez-vous à plus de prévoyance, et surtout apprenez à vos enfants à avoir plus de respect pour les choses que Dieu a mises à notre disposition, spécialement pour les arbres.
 
Le plus tôt possible, nous introduirons dans nos écoles un programme élémentaire de sylviculture. Il aidera à former cette mentalité. Encouragez-les vos enfants. La forêt leur offre un avenir beaucoup plus brillant que vous ne le soupçonnez. Nous aurons besoin de quintupler le nombre de nos ingénieurs forestiers et de nos techniciens. Pourquoi ces professions seraient-elles constamment réservées à des étrangers? Chaque pays doit fournir son monde. Quand nos techniciens et nos ingénieurs seront sortis de notre peuple la forêt aura une chance d'être mieux aimée; le simple ouvrier lui-même, sans autant de misère, et avec plus de noblesse, accomplira sa vocation en triplant et quadruplant son revenu.
 
Pourquoi ce métier serait-il moins honorable? Il suffit de l'accomplir dans l'ordre, pour le mettre au même niveau que toute autre fonction. Quand l'intelligence vient mettre en valeur l'effort humain elle accentue toujours la ressemblance de l'homme avec Dieu et ne connaît pas de sot métier. Le forestier, qui chaque jour est en contact avec la grâce majestueuse de la nature, peut élever plus facilement que l'ouvrier de l'usine ses yeux vers le ciel, d'où lui viennent toute force et toute bonté. S'il accomplit son œuvre dans cet esprit, il finit par s'adapter avec passion à ce cadre grandiose. La conviction de trouver providentiellement sa subsistance dans cette belle nature tout en travaillant à perpétuer et parfaire l'œuvre divine compense fièrement certaines rudesses. Quelle fierté également de pouvoir se dire: "Dans cent ans, dans deux cents ans, d'autres hommes, dans les veines desquels coulera mon sang, viendront ici couper d'autres arbres plus beaux. Grâce à ma prévoyance, ces arbres et ces hommes, dans un cadre plus merveilleux, continueront le même chant d'amour, le chant de la nature et le mien en hommage au Créateur infiniment bon.
 
Le grand fléau des feux de forêts.
 
Cependant pour que ce chant subsiste indéfiniment, il est un autre fléau, pire que la hache imprévoyante, et issu de cette hache imprévoyante, le fléau des feux de forêts, qu'il faut éviter à tout prix. Que de crimes n'ont-elles pas commis, notre imprévoyance et notre négligence! Des millions d'arbres calcinés sur notre territoire lèvent des branches noires vers le ciel, comme des mains rageuses, pour demander justice ou prendre Dieu à témoin de votre cruauté envers eux et envers nos descendants.
 
Que de fois n'avons-nous pas constaté Nous-même cette incurie? Nous avons voyagé en forêt avec des automobilistes et nous les avons vu jeter leurs bouts de cigarettes allumés malgré les pancartes qui avertissaient du danger. On ne peut établir un colon, ou on ne peut envoyer des hommes travailler dans les bois sans risquer de voir le ciel se voiler de sinistres et noirs nuages. S'il fallait les estimer en dollars, ces nuages, ils se chiffreraient par millions. Mais on se console en disant: " La perte n'est pas énorme. Le bois reste bon, on aura le temps de l'utiliser. " Oui mais les petits arbres qui sont morts et ne grossiront plus! Si vous voulez estimer la perte dans toute son étendue, allez voir les montagnes de Trinité, de Laval et de Latour. Regardez-les bien. Puis revenez dans cent ans et deux cents ans. Il y a quelques années elles étaient couvertes de belles forêts utiles. Aujourd'hui elles sont nues, demain elles seront nues et dans cent ans elles seront encore nues. C'est là le dommage inestimable. Le sol est brûlé, la source de vie n'existe plus, et la cause de cela? Un colon imprudent, ou un bout de cigarette. Même dans la plaine où le sol est plus épais et résiste mieux, il faudra que la nature recommence tout un cycle de préparation avant qu'un arbre utile puisse germer. Auparavant il s'écoulera des années et des années. Le temps ne nous permet pas de signaler une infinité d'autres inconvénients, mort du gibier et du poisson, dessèchement des rivières, etc, etc..
 
Nous voulons surtout attirer votre attention, Nos très chers Frères, sur notre effarante culpabilité. Nous ne pouvons pas nous défendre d'un sentiment de blâme à l'égard de tant de négligence, et Nous Nous demandons s'il n'y a pas quelquefois des actes volontairement criminels. Certainement toutes ces conflagrations ne peuvent s'expliquer par le pur hasard.
 
Pour bien nous juger il faut toujours nous comparer aux autres. Pour les Suédois les feux de forêts sont chose pratiquement inconnue. Au témoignage de M. Black, un ingénieur forestier après vingt ans de carrière n'en avait pas vu un seul. Ici on vide la forêt d'êtres humains en temps de sécheresse, là-bas on la remplit de monde. On y et des familles qui y vivent, on y met des enfants, on y amène des touristes par centaines de mille, et jamais la forêt ne brûle. D'où vient la différence? C'est que tout Suédois étant éduqué de génération en génération dans l'amour de la forêt naît garde-forestier. Il est conscient du danger. Il est conscient de ses responsabilités envers lui-même, envers ses concitoyens et envers l'avenir de son pays. Nous, nous sommes éduqués de génération en génération avec une mentalité d'exploiteurs et de destructeurs de la forêt, et tout jeune Canadien est un incendiaire en puissance. Précisément parce que c'est une question d'éducation Nous n'oserons pas vous jeter la pierre trop lourde. Vous avez été trop longtemps laissés sans pasteurs et sans guides en cette matière. Vous savez maintenant que ce domaine, il est à vous, et que vous devez prendre conscience de votre responsabilité à son égard. Vous savez que vous avez un strict devoir de le cultiver pour le livrer embelli à vos descendants. L'heure est venue de trouver les autres responsables de l'incurie et de leur dire par quels moyens ils pourront faire leur part pour sauver notre domaine.
 
II – LES COMPAGNIES.
 
Esprit de progrès.

 
Nous n'avons pas l'intention de ne jeter que des blâmes. Nous avons eu l'occasion en 1908 de coucher sur le sapin dans certains camps de bûcherons et de manger la nourriture qui était leur partage pendant six mois de l’année. Nous visitons encore occasionnellement les camps. Tout près de Baie-Comeau il y avait autrefois à Manicouagan une scierie au centre d'un village. Dans les deux cas la comparaison est tout à l'honneur des compagnies actuelles. Les camps d'aujourd'hui, leur confort, leur nourriture, leur propreté, leur facilité d'accès dénotent un progrès énorme. Les habitations de Baie-Comeau et de nos autres localités forestières, ne souffrent pas la comparaison des maisons d'autrefois. Incontestablement, depuis vingt-cinq ans surtout, les patrons ont été animés d'un esprit de progrès, non seulement à l'égard de la technique industrielle, mais encore à l'égard de l'ouvrier dans des améliorations qui s'élèvent jusqu'au sens social et à la charité.
 
Nous devons encore féliciter chaleureusement les compagnies pour ces belles études de sylviculture auxquelles elles ont accordé leurs encouragements et leurs deniers. Avec nos gouvernements et nos sociologues elles ont contribué, en développant cette science, à poser la base la plus solide sur laquelle nous pouvons espérer bâtir notre édifice forestier et social. Le service est donc inappréciable. Ce n'est pas tous qui peuvent le comprendre, mais pour notre part, ayant lu et relu, ayant consulté nombre de statistiques, Nous le comprenons, et, si Nous avons à dire certaines vérités parfois désagréables, Nous les dirons avec une grande sympathie, et, qu'on en soit bien persuadé, Nous sommes animé à l'égard des compagnies de la même charité avec laquelle nous avons parlé au peuple.
 
Mission 'providentielle des industriels.
 
Qu'il nous soit permis tout d'abord de rappeler un principe. C'est toujours le même, celui dont nous avons voulu faire l'idée dominatrice de cette lettre; la forêt, pour les compagnies comme pour le peuple, est un bienfait de Dieu. Il leur est permis d'en user, non d'en abuser. Elles ont le droit d'y aller chercher la matière première nécessaire à l'industrie et d'en attendre les profits raisonnables. Mais comme le peuple, elles n'ont pas droit de détruire cette œuvre divine, surtout chez nous où cette destruction serait irremplaçable par un autre moyen de subsistance. En l'exploitant, elles doivent la conserver, l'améliorer, penser non seulement cinquante ans à l'avance en fonction des profits à réaliser, mais cinquante ans et cent ans, et deux cents ans et plus, en fonction de la survie d'un peuple par la permanence de l'industrie. Après tout, en tant qu'associations, elles ne sont que des instruments plus puissants dont la Providence se sert, comme elle se sert des individus, pour parfaire son œuvre créatrice, et assurer le pain quotidien au petit peuple, un pain plus blanc et mieux beurré. Cet aspect du problème n'est peut-être pas souvent exposé dans les délibérations des directeurs de sociétés industrielles. Pourtant c'est le premier dans l'ordre des considérations, celui qui donne leur sens à tous les autres. Nous sommes tous dans la main de Dieu, individuellement ou collectivement, et, consciemment ou inconsciemment, nous devons faire son œuvre, remplir le rôle qu'il nous a assigné. Malheur à nous si nous le remplissons mal : " Malheur à celui qui triche en faisant l'œuvre de Dieu. " (Jérémie, 48-10)
 
Erreurs des compagnies.
 
Si cette œuvre de Dieu, cette œuvre de providence permanente ne s'est pas bien faite chez nous, comme nous l'avons constaté en établissant les responsabilités du peuple, où en est la faute des compagnies ? Nous trouvons trois chefs d'accusation à leur reprocher.
1er — Elles ne sont pas venues pour rester, donc aucun esprit de fondateurs.
2è  — Faute de psychologie, elles ne se sont pas appuyées sur le peuple pour maintenir leur prospérité à perpétuité.
3è  — Dans un temps où l'on réclamait partout la liberté, elles ont créé des villes fermées.
 
En conséquence sans collaboration du peuple elles ont négligé leurs théories de conservation et de sylviculture et restent incapables de les appliquer.
 
1° Absence d'esprit fondateur.
 
Elles ne sont pas venues pour rester. Si Ton fait une ou deux exceptions, il est facile de prouver cette affirmation. Le caractère précaire des installations, la fermeture et la réouverture inopinée des opérations au moindre caprice du marché, le prouveraient déjà. Mais le fait le plus patent est celui-ci. Si on avait voulu rester on aurait réglé les coupes de façon à faire durer la forêt. Rien n'en a été fait. Certains villages aujourd'hui sont menacés de destruction à brève échéance si l'on ne réagit pas sans retard. La réaction devra être si radicale qu'il faudra réduire la coupe de 80,000 cordes à 15,000 ou 10,000, en attendant un demi-siècle une nouvelle forêt mal aménagée. En somme ce ne fut pas un esprit différent qui a animé patrons et ouvriers : ce fut un esprit d'exploitation et non un esprit de culture ou un esprit de fondateurs qui voit des siècles à l'avance. Les bûcherons de passage sont ici aujourd'hui; demain ils iront ailleurs chercher fortune. Les industries forestières venaient chez nous cueillir en toute hâte le bois pendant que cette cueillette était avantageuse; dans quelques années elles iraient ailleurs. Les familles elles-mêmes, qui venaient se fixer dans ces centres, étaient affectées de cette maladie de nomades. Comment demander alors une volonté de construire, de peupler une région, de sauver une beauté, une valeur? Autant crier dans le vent.
 
Puis, le bois venant à manquer en d'autres régions, les compagnies ont fini par jeter un regard plus attentif sur la Côte-Nord, comme sur une réserve qui pourrait bien durer à perpétuité. À tour de rôle elles se sont fait concéder de beaux domaines forestiers. Elles ont bâti des installations qui manifestent une plus rassurante volonté de durer. Enfin elles ont commencé à parler de sylviculture; mais en pratique la dilapidation, l'incurie continuent sur un train cent fois accéléré grâce au nombre plus considérable d'ouvriers, grâce encore à de nouvelles machines d'une force plus brutale. Les journaux, à longues manchettes, ont fait état de cette mécanisation. Admettons-le, il ne faudrait pas demander aux reporters d'être des juges avertis de la valeur des choses; mais la direction d'un journal, avant de leur permettre de présenter une invention comme la merveille du siècle et de former ou déformer l'opinion, devrait se demander si cette invention, en plus de sa valeur de production, est également douée d'une valeur de reproduction et d'une valeur sociale. Nous réclamons humblement la permission d'en douter pour le moment. On a dit qu'une telle initiative allait permettre de former des ouvriers mieux qualifiés. Tant mieux si cette qualification s'oriente dans le sens que nous prêchons! Mais jusqu'à preuve du contraire nous restons sur nos positions de doute. Nous craignons plutôt très fort que ce ne soit une qualification propre à quintupler sa puissance de production et de destruction. Nous n'irons pas jusqu'à condamner absolument ces méthodes. Nous Nous réjouissons de tout ce qui peut alléger le dur travail du forestier. Cependant, on ne le fera que sous une stricte surveillance, selon les données scientifiques de la sylviculture, sur des terrains appropriés, jamais sur les hauteurs. Étant donné la nature de notre région, un tel bouleversement des montagnes et des collines est aussi préjudiciable que le feu lui-même, car il signifie la sécheresse réfractaire à toute germination utile, le lavage par les grandes pluies du sol trop mince et trop peu consistant, et conséquemment le dessèchement rapide des cours d'eau. Comme la majeure partie de la région est montagneuse, l'emploi trop généralisé de la mécanisation serait fatal à tout l'ensemble du pays.
 
2° Défaut de psychologie.
 
Animés de bonnes intentions, les compagnies ont été entraînées impuissantes à ces destructions parce qu'elles ne se sont pas appuyées sur le peuple. Elles ont émis de savantes théories, que des ingénieurs et des forestiers trop peu nombreux étaient chargés de mettre en pratique. Débordés, ces ingénieurs et forestiers se sont trop souvent mués eux-mêmes en instruments d'exploitation. Leurs services ont été estimés à l'échelle des revenus, non à celle du reboisement. Heureusement que leur conscience de professionnels n'a pas toujours plié sous cette triste nécessité. D'année en année de belles protestations ont fait mûrir ce sentiment de culpabilité que Ton sent peser sur tous aujourd'hui.
 
Ce qu'il eût fallu, c'eût été dès les débuts de former une main-d'œuvre spécialisée : un ouvrier qui fût un forestier et rien autre chose. Comment demander une conscience professionnelle à qui n'a pas de profession? Comment demander à l'homme d'aimer ce qu'il considère toujours comme une dure nécessité et ce que la pauvreté seule le force à accepter? Demanderons-nous à la machine d'agir intelligemment? On a traité l'ouvrier forestier comme une machine. Nous ne disons pas qu'intentionnellement on ait voulu de fait oublier son âme, mais en pratique, eu égard à son travail, on l'a traité en machine. Une machine c'est une force aveugle, déterminée par une intelligence externe à une fonction précise et unique. On la transporte où l'on veut. Il suffit de la mettre en mouvement, et elle travaille sans le savoir. Pour couper des arbres on a besoin de force brutale, on va chercher des bras humains et on leur dit: " Bûchez ". Celui qui bûchera le plus sera la meilleure machine. Aveuglément, comme fatalement, ces bras ont bûché, sans amour, sans regard sur l'avenir. Plus triste encore, une machine intelligente, une machine au sein de laquelle bat un cœur capable d'amour, peut causer de grands méfaits, si ces forces spirituelles méconnues ne sont pas dirigées, éclairées, réchauffées. C'est ce qui est arrivé.
 
Que leur importent, à ces hommes, des théories qu'on vient leur conter en faveur de la forêt? Que leur importent les pellicules qu'on vient tourner et les conférences qu'on vient réciter dans nos villages contre les feux de forêt? Est-ce qu'elle leur appartient, cette forêt? Est-ce qu'ils y reviendront demain? Est-ce qu'elle leur assure en permanence leur subsistance? N'est-elle pas plutôt une marâtre qui les arrache à leur foyer de longs mois chaque année? Si en ce moment elle est plus rémunératrice, la forêt pendant longtemps a été une œuvre de famine, et l'homme n'en est pas encore revenu des malédictions qu'il lui a lancées.
 
Ce qu'il eût fallu, c'eût été de donner une âme à cette industrie. Mais pour lui donner une âme il eût été nécessaire de se bien persuader d'abord que Dieu a doté chaque pays, chaque région des possibilités de nourrir son monde. Il eût fallu se rappeler ensuite que la grande force de l'homme n'est pas une brutalité machinale, mais son intelligence, qu'on ne met jamais assez à profit. Il eût fallu se rappeler enfin que le meilleur moyen d'atteindre l'intelligence, c'est de passer par le cœur. Le cœur de l'homme demande l'amour, et on ne l'arrache pas impunément à son amour. S'il y a des cœurs d'hommes qui, par vocation spéciale, à cause d'un amour surnaturel, sacrifient l'amour humain, dans la généralité des cas il faut à l'homme l'amour d'une femme, non pas d'une femme que par occasion on jette dans ses bras, mais d'une femme qui soit la compagne quotidienne de sa vie, son inspiratrice, d'une femme qui partage ses joies et ses misères, d'une femme qui prie avec lui et pour lui d'une femme qui lui donne des enfants, qui soit avec eux sa raison de travailler, le stimulant de son travail, son repos chaque soir, ou tout au moins chaque dimanche. Là où vous trouverez cette femme, vous trouverez le cœur de l'homme, et là où vous trouverez son cœur, vous trouverez aussi son intelligence.
 
Villages forestiers.
 
Qu'on ne Nous prête pas de fausses intentions. Loin de Nous de vouloir faire de la femme une nomade parce que l'homme actuellement est nomade. Nous réprouvons absolument l'usage de remplir la forêt de familles, qui viennent l'automne et repartent le printemps, comme on l'a pratiqué et comme on a tendance à le pratiquer encore. Non, ce qui est nécessaire à la famille, c'est une demeure stable, où tous les membres se trouvent réunis habituellement, au milieu d'un groupe assez nombreux et assez compact pour permettre l'organisation complète de la vie sociale, nationale et religieuse. Puisque le métier du père est dans la forêt, c'est dans la forêt que doit être cette collectivité forestière.
 
Nous ne croyons pas rêver d'utopie en préconisant la formation de ces colonies forestières. Nous n'en sommes pas l'inventeur. Elles sont à l'œuvre depuis nombre d'années en d'autres pays, en Scandinavie, par exemple, et chez nous des voix autorisées les ont demandées avant Nous. (Ernest Ménard). Les bassins de nos immenses rivières s'y prêtent admirablement. Un simple coup d'œil sur celui de la Manicouagan le prouve en toute évidence. Ces villages soigneusement et scientifiquement dispersés à des points stratégiques, reliés entre eux par un bon système de routes, suffisamment pourvus d'espace pour permettre à chaque famille un jardin potager, offriraient des avantages incontestables.
 
a) Protection plus efficace contre le feu, puisque de chaque villageois on pourrait faire un garde-feu intéressé à sauver son propre patrimoine, et que, ayant du monde partout, on trouverait sur place une main d'œuvre nombreuse pour combattre l'incendie dès son éveil.
 
b) Mise à point plus rapide d'une culture forestière scientifique. L'école tout d'abord recevrait une orientation forestière, comme en d'autres endroits elle reçoit une orientation agricole. Puis l'ouvrier, sachant que la forêt est son domaine, son gagne-pain, commencerait à s'intéresser à la cultiver comme le laboureur intelligent cultive son champ. Alors seulement les leçons, les conférences, les pellicules cinématographiques prendraient un sens à ses yeux. Il pourrait commencer à reporter sur la forêt tout l'amour que l'on porte à sa petite patrie. C'est un fait d'expérience que l'on aime l'endroit où l'on demeure. Les Anglais avec leur sens des réalités l'ont exprimé dans un aphorisme que l'on a transposé dans toutes les langues : " No place like home. " Comme aimer c'est surtout faire du bien, l'ouvrier sain d'esprit, serait tout naturellement porté à écouter le garde-forestier ou l'ingénieur qui veut faire du bien à son domaine et l'améliorer. Cette main-d'œuvre plus consciente et plus qualifiée est la toute première condition de la sylviculture.
 
c) De plus ces villages, disséminés dans toute l'étendue de la forêt, sans compromettre sa vie et en rendant possible les meilleures méthodes de reproduction, permettraient de recueillir en temps tout le bois qu'une maturité avancée expose à la mort et à la pourriture. Ce fait éliminerait du même coup les dangers d'épidémies plus menaçants dans les forêts mûres. Peu à peu l'aménagement, prévu sur un plan d'ensemble, se compléterait, assurant à l'avenir de plus beaux arbres, un travail plus facile, un meilleur rendement pour tous.
 
d) Le transport du bois de la forêt à l'usine serait également rendu plus facile. Qu'on s'imagine ce que doit coûter le flottage du bois sur nos rivières dans l'état actuel des choses. Qu'on s'imagine la misère des hommes employés à ce travail. Qu'on s'imagine les pertes. Nous avions pensé qu'une perte de cinq pour cent était le gros mot. Une voix fort autorisée vient de nous assurer que dix-huit pour cent serait le chiffre le plus exact, et nous hésitons encore à croire. Quelle que soit cette perte elle démontre qu'il vaudrait la peine de faire quelque chose pour l'aménagement de nos rivières, aménagement rendu possible seulement par la présence de villages forestiers et la construction de bonnes routes. C'est le poisson qui sera content le jour où tout ce bois aura fini d'aller paver le fond de nos rivières pour encombrer les fosses propices aux frais et aux alevins. Qui osera nier que l'industrie forestière n'ait diminué de quatre-vingt pour cent la pêche au saumon en eaux douces, et du même coup compromis l'avenir de la grande pêche maritime de cet excellent poisson? Un peu plus d'ordre aurait remédié à tout. Il est encore temps d'y penser.
 
e) Envisageons maintenant le mouvement ouvrier. Nous avons signalé plus haut le flux et reflux dont notre côte est témoin. Sans doute nous le verrons encore longtemps, car nous ne sommes pas prêts à pouvoir nous passer d'une main-d'œuvre saisonnière. Mais si sur ces quinze ou vingt mille hommes qui passent annuellement, on pouvait en fixer six mille, du même coup, en comptant un minimum de quatre par famille, notre diocèse verrait sa population s'accroître de vingt quatre mille âmes. Il serait plus encourageant d'y fonder une ville épiscopale, dotée de toutes les œuvres d'éducation qui font la gloire des autres diocèses. Cependant les premières bénéficiaires seraient les compagnies forestières elles-mêmes. Actuellement pour maintenir deux mille hommes dans le bois, une compagnie doit en transporter au moins cinq mille. De ces hommes seulement vingt-sept pour cent coupent jusqu'à cent cordes et trente-deux pour cent ne coupent pas une demi corde. Pour chacun le patron a dû assurer le paiement du voyage à la compagnie de navigation ou d'aviation et assumer tous les frais du transport dans le bois et hors du bois. En plus il doit maintenir des bureaux d'embauchage dans les principaux centres et garder sur les routes une équipe de solliciteurs. Enfin l'expérience a prouvé que cinquante hommes unis en coopérative et travaillant avec méthode et ambition, font plus d'ouvrage que cent hommes dans un camp ordinaire. On y aperçoit sans peine toute la différence entre l'homme de métier consciencieux et le désabusé inapte qui encombre trop souvent nos camps pour abaisser lamentablement le pourcentage de rendement des équipes ouvrières.
 
Maintenant tous ces frais inutiles, où sont-ils pris? Sur les bénéfices de la compagnie? Non, ce ne serait pas logique. Ils sont retranchés du prix de revient de la corde de bois pour l'ouvrier. Cette corde ne doit pas coûter plus que, disons, trente dollars, rendue à l'usine. Si les frais menacent de s'élever à tel point que de dépasser ce prix, il faut rogner sur quelque chose. C'est sur le revenu de l'ouvrier que l'on rogne en bonne partie. Établissez une main-d'œuvre permanente et qualifiée, et la corde, au lieu de coûter trente dollars en coûtera vingt-cinq; et il est fort probable que vous aurez été capable sur ces vingt-cinq dollars de donner peut-être le double à l'employé. Ce ne sont pas là des raisonnements en l'air, mais des faits et des conclusions basés sur des statistiques bien établies.
 
Réhabilitation d'une classe.
 
Nous entendons une objection, qu'on Nous a jetée à plusieurs reprises: "C'est très bien, votre plan d'industrie forestière, mais en le créant vous désaffectez un groupe considérable d'agriculteurs. " Non, pas plus qu'avant. Nous ne pouvons pas empêcher les désaffectations. C'est de désaffectations que sont créés les mouvements démographiques, et ce sont elles qui permettent l'évolution de l'humanité vers les différentes utilisations de ses forces corporelles et spirituelles. Le jeune homme qui laisse la ferme pour entrer au collège classique ou commercial se désaffecte; celui qui embrasse le droit, la médecine, le génie civil, le sacerdoce, se désaffecte. Qui oserait l'en blâmer? Le secret, c'est d'empêcher dans toute la mesure du possible que le désaffecté ne détruise un service essentiel et ne devienne un déchet.
 
Trop longtemps l'industrie forestière a fait des déchets avec une partie notable de notre belle jeunesse agricole. II sera fort difficile de récupérer tous les déchets, parce que beaucoup sont blasés au plus profond de leur cœur. Mais ce quatrième ou ce cinquième enfant de la terre qui, sans aimer la glèbe, se grise du parfum des pins, pourquoi ne pas lui permettre de suivre ses goûts et de retrouver encore parmi les pins la douceur d'un foyer, la tendresse d'une épouse, l'affection des enfants? Une désaffectation est humanitaire et entre parfaitement dans l'esprit du christianisme et dans le plan divin, quand elle prend le trop-plein d'une population et lui offre l'équivalent de ce qu'il laisse. C'est une autre désaffectation qu'on a faite mais c'est celle-ci que Nous croyons possible et que Nous offrons.
 
Villes fermées.
 
Dans le passé aucun effort n'a été fait en vue de cette orientation, et c'est la raison de l'échec de notre industrie forestière, car Nous n'appelons pas succès la seule réussite matérielle d'une entreprise ou les gros dividendes qu'elle affiche. Nous appelons succès ce qui relève le niveau de l'humanité, niveau matériel, mais surtout niveau moral et spirituel.
 
L'étranger qui admire la belle tenue de certains de nos villages ou villes est facilement porté à contester notre opinion et à encenser tout ce que l'industrie a fait pour le bien-être et pour ce qu'il est convenu d'appeler la vie sociale. Nous ne voulons pas nier toute bonne volonté. Dans ces dernières années surtout, les compagnies ont fait un effort très louable pour rendre à leurs employés la vie plus aimable. Elles se sont montrées d'une collaboration spécialement bienveillante en faveur de la religion, et nous leur en devons de la reconnaissance. Si Nous Nous permettons de signaler des lacunes, c'est afin de mieux orienter ces excellentes dispositions vers une plus profonde compréhension de l'esprit humain et de la tâche qui incombe mutuellement à l'Église, à l'industrie et à l'Etat.
 
Ce manque de compréhension est le point sensible de notre insuccès. En somme ce sont de bons serviteurs que l'industrie a cherchés, des serviteurs heureux, à qui rien ne manquerait mais qui resteraient serviteurs, totalement à la disposition et à la merci de leurs maîtres. Pour qu'ils restent serviteurs on les a entourés de toutes sortes de précautions, et restrictions : on a prévu toutes les activités qui concernent leurs devoirs d'état; on a pourvu à tous leurs besoins en monopolisant le commerce et la petite industrie aussi bien que la grande; on a même pourvu d'office aux loisirs et à la vie sociale, municipale et scolaire; en un mot, on a tellement canalisé l'existence, que, à une époque où Ton prône les bienfaits de la démocratie, on a créé chez nous de petites autocraties rigides avec les villes ou villages fermés. On y trouve certains avantages, comme de permettre un meilleur choix de familles, plus d'ordre dans les débuts. Très bien! mais quand cet état de choses se perpétue il peut avoir des conséquences désastreuses sur les facultés humaines. D'abord dans l'organisation de cette vie commandée on n'a pas suffisamment tenu compte de notre mentalité canadienne-française, de nos traditions, de la forme spéciale de notre éducation, de nos aspirations, de nos humiliations mêmes, de notre foi, de notre vie religieuse, enfin de tout ce complexe de facteurs qui constitue l'âme d'un peuple. Cela, c'est une chose qu'on ne peut bouleverser sans en subir les conséquences. L'âme du peuple en a-t-elle été plus heureuse? A-t-elle apprécié ce bonheur d'occasion et commandé ? Elle s'y est jetée trop souvent avec avidité, comme on se jette sur tout ce qui est nouveau, mais elle n'a pas tardé à sentir le vide. Aussi dans nos localités merveilleusement organisées le cœur ne s'est pas attaché au sol. On sent gronder un murmure. L'homme qui y a amené sa famille aspire à partir sitôt que les circonstances le permettront parce qu'il n'a pas trouvé ici ce qui constitue le bien suprême de toute existence, la liberté, l'expression sans contrainte de son esprit d'initiative et de sa personnalité.
 
Si les circonstances le forcent à rester, les années atrophient graduellement cette personnalité ; il se résigne à n'être plus qu'un serviteur, et finit souvent par n'être même plus un bon serviteur. L'esprit de sujétion outrancière a vite fait d'amoindrir même la conscience professionnelle et l'idée du devoir d'état. C'est ce qu'un patron appelait " un déformé moral " dans un article assez rageur, paru dans le " Pic-bois " du mois de février 1945. Quel dommage qu'il n'ait su en découvrir la cause!
 
C'est vrai, comme il le remarque, que la race de ces hommes de toute confiance tend à se faire rare. Mais c'est nous-mêmes qui créons cette inconscience par contrainte des facultés humaines. Tout homme qui pose les assises d'un village ou d'une ville, qu'il le veuille ou non, fait office de fondateur. S'il y met des familles il y aura multiplication. Là où il y a des êtres humains il y a ce que Dieu a créé de plus beau, des âmes. Aux activités de l'âme personne n'a le droit de poser des limites. La seule borne légitime à cette activité c'est la loi de Dieu, dont la loi humaine doit n'être qu'une expression plus détaillée, plus précise, et cette limite elle-même tient compte de la liberté. Dans cet ordre de choses, il faut encore en revenir au principe que Nous avons exprimé au début. L'effort de l'homme doit tendre à faire ressortir la perfection de l'œuvre de Dieu, qui a voulu la plus pure expression de cette perfection dans le libre exercice des facultés spirituelles.
 
Le fondateur ne doit pas perdre de vue ce fait. Une agglomération humaine doit être une société et non un troupeau. Le troupeau est conduit par la volonté irrévocable du pasteur. La société est, sous une autorité ordonnatrice, la mise en commun de toutes les puissances physiques et spirituelles de chacun, en vue de
procurer le bien commun. Elle est donc faite de multiples manifestations, de multiples activités, de multiples initiatives. Mettez à ce rouage un autre frein que la loi de Dieu et les justes lois humaines, et vous compromettez le bien commun, qui ne s'estime pas à coup de dollars.
 
L'industriel fondateur qui s'attable pour juger son entreprise d'après ses revenus annuels fait preuve de bien courtes vues. Il assure la vie de son industrie, mais il compromet sa survie parce qu'il ne l'appuie pas sur le capital humain, qui est un capital spirituel et social, un capital qu'il faut façonner cent ans à l'avance. Si aujourd'hui nous sommes aux prises avec une population amorphe, dont on ne peut qu'à grand peine stimuler l'intérêt, même pour les questions les plus vitales, c'est que les compagnies l'ont trop attachée à leur char, c'est que, ayant entravé à l'excès sa liberté, elles l'ont ensuite gavée, en guise de compensation, de satisfactions multiples ; c'est que, ayant tout reçu à souhait, dans cette absence de soucis, cette population se désintéresse du piquant de la vie, qui consiste à être le propre artisan de son bonheur et du bonheur commun. Avant que cet intérêt ne s'efface complètement, entraînant dans sa perte toute initiative et toute conscience professionnelle, il est grand temps, chez nous comme ailleurs, de donner libre cours à l'esprit en faisant disparaître toutes les restrictions anormales. De ce jour datera peut-être un regain d'amour pour la petite patrie et pour sa source de vie, la forêt.
 
III –  LE GOUVERNEMENT.
 
Le réquisitoire semblerait assez lourd contre les compagnies. Hâtons Nous de le redire, Nous n'avons que l'intention bienveillante d'analyser la situation pour poser d'un commun accord le remède opportun. Le programme tracé peut être magnifique. N'est-il pas au-dessus des possibilités des industriels auxquels Nous venons de l'expliquer? Un grand directeur d'industrie forestière auquel Nous exposions ces vues, ne nous cachait pas son admiration, " mais, Nous disait-il, comment voulez-vous demander cela aux compagnies? L'aménagement de toutes ces immenses forêts demanderait une mise de fonds considérable. Ce serait donc supprimer les dividendes pour une période indéterminée d'années. Or les dividendes sont la condition essentielle de la vie financière d'une société. " Raisonnement très juste que Nous reconnaissons. Aussi, en traçant ce programme sous le titre compagnies, il fallait bien ordonner les idées pour qu'il apparaisse comme un tout, mais Nous n'avions pas l'intention de faire des sociétés industrielles le seul facteur de sa réalisation. C'est le moment de faire intervenir le gouvernement, qui doit lui aussi embrasser ses responsabilités.
 
Pour lui aussi Nous reconnaissons qu'il s'est occupé du problème. On ne reprochera pas à l'esprit si chrétien de nos hommes publics dans cette Province de se désintéresser de la gloire de Dieu, et de son expression plus parfaite dans ses œuvres. Messieurs les ministres ont toujours reconnu que la forêt était un domaine public, une des sources les plus fécondes de notre richesse nationale, et que par conséquent ils devaient la sauvegarder et l'améliorer par des lois sages et prévoyantes.
 
Tout dernièrement l'honorable Premier Ministre a nettement affirmé son intention de ne pas laisser dilapider ce beau domaine. Depuis nombre d'années, de grands efforts ont été tentés pour l'étude de la sylviculture et pour la formation des techniciens. Nous avons donc toute confiance d'être lu d'un œil sympathique.
 
Formation d'ingénieurs.
 
L'urgence du problème cependant demande que l'effort soit dès maintenant porté à son maximum, non pour arrêter l'industrie, mais pour la modérer et l'organiser. Pour une telle œuvre nous aurons grand besoin de bons hommes, ingénieurs-forestiers et techniciens. Il incombe tout spécialement à notre gouvernement provincial d'encourager la formation de ces hommes. Voulez-vous vous rendre compte de notre déficience lamentable dans ce domaine, voyez la comparaison suivante. La Suisse, tout petit pays, d'une superficie boisée insignifiante, mais bien organisée, employait en 1946 deux cent cinquante ingénieurs-forestiers. Le Canada tout entier, avec des forêts à aménager, n'en employait que cinq cents. La Suède en avait onze cents (M. Robson Black). Il faudrait donc orienter de plus en plus nos étudiants vers cette profession, et adjoindre à nos ingénieurs une forte équipe de techniciens. Il s'ouvre en ce domaine un bel avenir pour nos jeunes, qui y trouveraient non seulement une profession payante mais un moyen de rendre au pays un service inappréciable. L'étude conserve toujours un grand attrait, et la sylviculture est un domaine où l'inconnu est encore assez nuageux pour permettre à un esprit curieux et créateur d'exercer toutes ses facultés de chercheur. En parlant de former des ingénieurs et techniciens c'est précisément cette saine curiosité scientifique que Nous demandons de leur inculquer. Dans le passé nous en avons eu, des ingénieurs et des techniciens de ce calibre. C'est à eux que nous devons ce que nous avons. Mais à côté d'eux nous en ayons eu trop qui n'étaient que des employés d'exploitation. L'ingénieur, comme tout homme de profession, doit se rappeler qu'il ne s'appartient pas. Il peut sans doute profiter de tous les avantages personnels que lui vaut sa profession. Mais il est avant tout un instrument providentiel destiné à un service public. Avec cette conception comment, en face de Dieu et de cette belle nature et de tout le peuple, que Dieu nourrit de cette nature, comment, disons-Nous, oser faire de sa profession exclusivement une science de destruction"? Avec quelle plus poignante exaltation l'ingénieur ne devrait-il pas sentir son association spéciale à l'œuvre divine, puisque de son effort intelligent dépendent et la permanence de la forêt et celle du peuple?
 
Quand notre gouvernement distribuera des bourses et choisira des élèves pour ces études, il aura soin de le faire en faveur de jeunes gens capables de s'élever au-dessus des contingences d'un gagne-pain trop facile.
 
Programme scolaire.
 
Pour que l'effort de l'ingénieur et du technicien porte d'heureux fruits, ils doivent nécessairement trouver dans les masses cette collaboration spontanée sur laquelle Nous sommes revenus tant de fois depuis le début de cet écrit. Les couches vieillies, routinières, d'une société sont moins facilement malléables. C'est donc à la jeunesse qu'il faut s'adresser. Nous serait-il permis de suggérer la création dans les principaux centres d'écoles moyennes de sylviculture, tout comme on a des écoles moyennes d'agriculture dans les régions agricoles? Ces écoles, tout en préparant l'opinion, auraient l'avantage de faire découvrir les talents propres aux études supérieures dans ce domaine. Leur influence serait considérable.
 
Si par ailleurs on introduit un programme forestier à l'école primaire, si on encourage les clubs Quatre H, on forme déjà tout un courant d'idées extrêmement propice. A propos de programme forestier à l'école, M. A. Koroleff a publié une intéressante brochure " Woodlot Management, " Nous n'en connaissons pas de traduction française. Pour nos catholiques il suffirait d'y démontrer non seulement le côté purement utilitaire mais l'œuvre de Dieu à parfaire, et nous y trouverions toute la substance d'une saine sylviculture. Le " woodlot " ou lopin forestier pour l'école devrait être une forêt expérimentale, dont il faut doter chaque village. Elle serait facile à trouver. Chaque localité est bordée de jeunes forêts en train de croître dans le désordre parce qu'on les a coupées une fois sans songer à leur résurrection. Pourquoi les jours de congé ne pas y lancer nos enfants d'école, nos clubs 4-H, nos scouts, sous la direction de leurs maîtres, et de techniciens? La Suède le fait; pourquoi pas nous? Quelle merveilleuse et pratique leçon de choses pour ces jeunes ! Quel sport en même temps! On s'évertue actuellement à encombrer les loisirs de nos enfants de jeux, de friandises, de liqueurs qui les empoisonnent, comme si la famille et la patrie n'attendaient jamais d'eux un petit devoir d'état à remplir, et comme si la nature ne leur offrait pas le plus beau des sports, la plus élevante des occupations, une prise de conscience anticipée de leurs responsabilités futures. Quand nous aurons créé ce mouvement scolaire la brise chantera un plus joyeux chant d'espoir dans les arbres.
 
Système routier,
 
Et nous en sommes rendus à la pièce de résistance : un système routier à travers la forêt. C'est la condition nécessaire à l'application d'un plan rationnel de sylviculture, et à l'installation des colonies forestières dont Nous avons parlé. L'état de maturité excessive de nos forêts demande qu'on s'empresse de se débarrasser des arbres trop vieux. Actuellement, faute d'organisation, et de moyens de transport on coupe la forêt par tranches, comme un homme fauche son champ, avec tous les inconvénients d'une pareille méthode. On aura vite fait de l’abattre complètement mais pas assez vite encore pour sauver des millions de pieds de bois, qui mourront en semant la maladie chez les arbres plus jeunes. Des routes, se ramifiant à travers tous les bois, dans les bassins des rivières, une population toujours sur place et dûment préparée et dirigée, obvieraient à de si grands inconvénients. Il n'y a personne qui ne l'admette. Mais le coût! C'est lui qui fait reculer les compagnies. Ferait-il reculer aussi le gouvernement? Mais que dire d'une association des deux? Les compagnies dépensent annuellement de fortes sommes pour la construction de routes en forêt jusqu'aux points les plus reculés de leurs opérations, car elles reconnaissent la nécessité d'assurer la circulation en toutes saisons. Ne pourrait-on pas leur demander au moins cette contribution annuelle?
 
Ensuite il faut admettre que les impôts sur les compagnies forestières, les coupes de bois sont un des plus substantiels revenus de la province. On peut se demander ce qui est retourné à la forêt de cette contribution à la richesse nationale. Ne serait-il pas dans l'ordre de l'équité de lui remettre une partie de ce revenu pour lui sauver la vie; cette pauvre grande malade? Si Ton doit dépenser de fortes sommes pour l'établissement des colons, on peut bien en dépenser pour rétablissement des forestiers. Nous osons rappeler que chez nous on a pris l'habitude d'attribuer un sens tout à fait restreint à ce mot, colon. Il n'y a pas qu'une forme de colonisation. Celle que nous proposons n'est pas agricole, mais elle est quand même de la vraie colonisation, et Dieu sait combien utile au pays. N'a-t-elle pas droit à sa part de subsides? Enfin puisque la chose presse, un emprunt dans ce but serait fort opportun. Nous sommes assurés que les compagnies forestières n'hésiteraient pas à payer un double droit de coupe et même plus pour couvrir cet emprunt, puisque, comme Nous l'avons expliqué plus haut, l'aménagement de la forêt et l'établissement sur place d'une main d'œuvre qualifiée leur épargneraient tant d'autres frais
considérables et inutiles.
 
Importance d'une action prompte.
 
Il ne Nous appartient pas de fixer des règles ou d'indiquer des méthodes à nos gouvernants. Ces idées ne sont que des indications succinctes, destinées à bien mettre en évidence la grande nécessité d'agir promptement et énergiquement. Encore une fois pour ce grand pays du comté de Saguenay il s'agit de continuer à produire ou de se dessécher en désert; il s'agit de se peupler ou de perdre une partie d'une population déjà trop petite; il s'agit de s'éveiller et d'entrer dans l'évolution spirituelle qui honore les autres régions ; il s'agit de vivre ou de mourir. La réalisation de ce programme forestier est donc pour nous le premier des problèmes, le service le plus essentiel que notre gouvernement et nos industriels puissent nous accorder. Quelles que soient les réactions à notre appel, quelles que soient les méthodes auxquelles on aura recours, il faudra que nos hommes ne perdent pas de vue cette nécessité. Dans un an ou deux nous aurons au Saguenay notre député bien à nous. Qu'il se mette parfaitement au fait du problème forestier, qui est à la fois un problème ethnique, un problème économique et un problème social.
 
IV – CLERGÉ.
 
Et vous, chers collaborateurs, prêtres de notre diocèse, vous avez saisi notre pensée. Qu'elle soit désormais une orientation de toutes vos activités. Nous n'avons pas l'intention d'imposer nos vues aux autres évêques, qui, jugeant des circonstances de temps et de lieux, ont dirigé leur troupeau avec toute la sagesse inspirée propre à l'Eglise. Chez nous les circonstances sont tout autres. Nous comptons sur votre collaboration pour mettre en œuvre cette même sagesse, dans la conviction que sur nous plus que sur tout autre repose l'obligation de conduire l'œuvre de Dieu à sa perfection. Puisque nous avons fait le procès des responsabilités qui ont causé notre retard, nous pouvons bien faire également le procès des nôtres. Nous aussi, nous nous sommes trop désintéressés de cette question. Loin de Nous l'idée de blâmer le zèle vraiment apostolique de votre ministère sacerdotal. Mais nous avons cru trop longtemps que ce ministère ne nous demandait que d'assurer le service religieux de nos paroisses, de nos missions et des camps de bûcherons. Nos prêtres l'ont fait avec une piété et un désintéressement exemplaires. Mais, tout en s'apitoyant souvent sur le sort de ces hommes et sur leur instabilité lamentable, ils en ont accepté le fait comme acquis. Inconsciemment à cet égard ils ont été fatalistes. N'ont-ils pas oublié que le ministère du prêtre n'est pas profond tant qu'il n'engendre pas des courants d'idées capables de remuer les niasses? Certains prêtres d'une personnalité puissante ont si bien lancé ces courants d'idée dans les œuvres qu'ils continuent à rayonner longtemps après leur mort. Nous ne Nous faisons pas illusion. Nous ne verrons pas la réalisation de ce beau rêve; d'autres le verront. Les masses sont lourdes à remuer. Dans l'ordre d'idées qui nous occupe nous devrons supporter de nombreuses contradi ctions, mais il faudra tenir. On sourira en nous disant: "Vous êtes allés chercher votre idéal en des pays plusieurs fois séculaires pour l'imposer à notre pays tout jeune, aux prises avec des difficultés presque insurmontables. " C'est vrai, mais ces pays, ils ont dû commencer un jour, -ils ont connu nos difficultés avant de réaliser leur organisme admirable. Ne devons-nous pas commencer nous-mêmes? C'est tout ce que Nous demandons. Qu'on commence! On y mettra cent ans, deux cents ans et plus, mais qu'on commence! Vous, chers collaborateurs, vous appuierez nos efforts; vous diffuserez, vous expliquerez nos idées; vous les enrichirez de nouvelles et plus sages conceptions, et ensemble nous aurons la gloire d'avoir lancé un courant salutaire d'idées.  Mais peu importe notre gloire à nous pourvu que l'œuvre de Dieu soit glorifiée pendant les siècles. Car si quelqu'un doit penser non au jour le jour mais en terme de siècles, c'est bien nous, prêtres de Dieu, représentants de l'Eglise immortelle. Personne plus que nous ne doit chercher cette progression dans l'expression plus parfaite de la création, d'autant plus qu'elle touche, non surtout à un aspect économique et matériel, mais à un aspect profondément humain, qu'on ne peut séparer de l'aspect chrétien.
 
La doctrine que Nous avons enseignée à travers toutes ces pages est entièrement inspirée des encycliques Rerum Novarum et de Quadragesimo Anno, puisqu'elle tend, sans doute à sauver de la destruction les arbres créatures de Dieu, mais avant tout qu'elle veut remettre l'homme bien en face de sa propre dignité, et bien en face de la dignité de ses semblables, dignité qui est une ressemblance spirituelle avec Dieu même. Le jour où patrons et ouvriers seront bien convaincus du fait de cette dignité et de cette ressemblance, le problème de leur collaboration sera résolu et on marchera en harmonie vers le progrès de l'industrie et vers le relèvement de l'humanité.
 
V – OUVRIERS.
 
Oui, votre relèvement à vous, chère humanité travaillante. Nous sommes profondément sensible à votre sort. Si cette lettre constitue un grand effort pour sauver la forêt de la destruction, elle a surtout pour dernière fin de vous sauver, vous, d'une misère que vous avez déjà connue et d'une déchéance dont vous auriez à souffrir et dont Nous porterions l'ignominie comme une flétrissure à notre ministère. Dans ce but de relèvement, l'an dernier Nous avons inauguré la formation des Syndicats catholiques des ouvriers en forêt. Nous ne l'avons pas fait pour les dresser comme une arme de guerre contre les compagnies, mais pour vous procurer un moyen de meilleure entente et de collaboration plus intelligente et cordiale, un moyen de vous unir les uns aux autres afin de mieux étudier en commun les problèmes qui intéressent votre métier et l'avenir de votre industrie. Nous l'avons fait pour trouver votre coopération quand Nous cherchons à assurer un foyer et un bonheur à ceux qui n'en ont pas. Nous le répétons, si vous voulez trouver la prospérité dans la stabilité, et le libre exercice de votre intelligence et de votre volonté, soyez les propres artisans de votre bonheur. Nous, Nous pouvons vous aider, Nous ne pouvons rien faire pour vous sans vous. Nous vous exhortons donc instamment à donner votre nom aux syndicats catholiques. D'autres organisations syndicales viendront solliciter votre adhésion. Ne les écoutez pas. Elles professent la neutralité à l'égard de l'Eglise, donc à l'égard de Jésus-Christ. Leurs propagandistes vous diront qu'ils ne sont pas contre Jésus-Christ, mais qu'ils l'ignorent dans leurs assemblées et leurs délibérations ; qu'ils ignorent l'Eglise, interprète et sage gardienne de la doctrine de Jésus-Christ. Ils ne sont pas contre l'obéissance à l'Eglise dans la vie privée; ils refusent son ingérence, son enseignement dans la vie syndicale. C'est Jésus-Christ lui-même qui répond à ce sophisme : " Celui qui n'est pas avec moi est contre moi. " L'Eglise, c'est le corps mystique de Jésus-Christ. La rejeter, rejeter sa doctrine sociale, c'est rejeter Jésus-Christ et sa doctrine. Que peut-on vous donner de mieux que la doctrine de l'Eglise en ce domaine? N'est-ce pas elle qui depuis sa naissance a pris la défense de l'ouvrier, héritier du divin ouvrier, Jésus? N'est-ce pas elle qui dans nos temps modernes nous a donné encore la clef sociale des problèmes ouvriers avec les deux magistrales Encycliques: Rerum Novarum et Quadragesimo Anno? N'est-ce pas elle encore qui la première dans ce diocèse se préoccupe de votre bonheur et du bonheur de vos enfants, de génération en génération? Votre vie syndicale, votre vie ouvrière, .et, simplement toute votre vie est trop mêlée à votre religion, à votre morale pour que vous puissiez dire à l'Eglise: " Nous pouvons nous passer de vous. " Prenez garde de rester comme des brebis sans pasteurs ou de tomber sous la conduite de loups déguisés en brebis. Donnez vos noms aux syndicats, mais puisque dans cette province nous avons l'avantage d'avoir des syndicats bien catholiques, que ce soient les vôtres, à vous catholiques, ouvriers de la forêt.
 
Avant longtemps, sitôt que Nous aurons pu vous grouper davantage, Nous créerons, ou plutôt, vous créerez à notre demande vos coopératives forestières. Ah ! si vous saviez avec quelle ardeur Nous appelons ce jour!
 
Pour Nous, chers ouvriers, vous ne serez jamais trop libres dans Tordre, jamais trop heureux dans l'estime de vos chefs et de vos concitoyens. Mais pour que vos croix soient moins lourdes, pour que le labeur s'accomplisse au rythme d'un chant, pour que le bonheur remplisse nos cœurs, pour que ce pays se couvre de foyers prospères, nous avons besoin de donner, tous et chacun, notre concours. En disant ce dernier mot Nous entendons cet avertissement de l'Ecriture: " Nisi Dominus edificaverit domum in vanum laboraverunt qui aedificant eam. " Si le Seigneur ne construit pas la maison, c'est en vain que travaillent ceux qui la construisent. " PS. 126.
 
Pour que Dieu soit le grand artisan de ce bel édifice décrit dans ces pages, vous tous, nos très chers frères, vous tous qui avez intérêt dans la forêt, vous tous, ouvriers et patrons, gouvernants et prêtres du Très-Haut, joignez-vous à Nous dans un chant de reconnaissance et de louange : " Soyez béni, Mon Dieu, pour ce pays du Saguenay, que vous nous avez donné. Soyez béni pour le Golfe si riche et si beau dont vous l'avez bordé. Soyez béni pour toutes ces puissantes rivières que vous y avez fait couler. Soyez béni pour nos lacs, nos plaines et nos montagnes. Soyez béni de nous avoir associés à vous pour accomplir la perfection de votre création ! Notre Père qui êtes aux Cieux que votre Nom soit sanctifié ! Non ! Plus blasphémé, mais sanctifié avec amour! Que votre règne arrive ! Qu'il arrive avec toutes ces églises qui viendront un jour peupler la solitude des bois. Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ; faite en tout par un peuple attentif à toujours observer,, votre loi, celle de l'Eglise et celle de l'Etat. Donnez-nous aujourd'hui notre pain. Donnez-le-nous par la production de cette forêt bénie, que nous allons nous mettre à aimer, à protéger, à cultiver pour que nos fils, en chérissant notre mémoire, vous bénissent encore, O Dieu, dans les siècles à venir.
 
Sera la présente lettre pastorale lue et publiée au prône de toutes les églises et chapelles le premier dimanche après sa réception.
 
Donné à Baie-Comeau, sous Nos seing et sceau et sous le contreseing de Notre chancelier, ce ­­­­trentième jour d'avril mil neuf cent quarante-huit.
 
NAPOLEON-ALEXANDRE, c. J. M. Evêque du Golfe Saint-Laurent.
 
Par mandement de Son Excellence,
René Bélanger, P. D., Vicaire Général & chancelier.
 

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